L’absence de surveillance continue par un professionnel de l’anesthésie, c’est-à-dire un médecin anesthésiste réanimateur ou un IADE, était considérée jusqu’ici comme un manquement aux bonnes pratiques telles que prévues par les recommandations de la SFAR.
Par un arrêt rendu le 08 juin 2022, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a eu à se prononcer sur la portée du décret du 05 décembre 1994 sur la sécurité anesthésique à l’égard directement des médecins anesthésistes réanimateurs.
La Cour de Cassation rappelle que l’article D 6 124-93 du code de la santé publique, met à la charge des médecins anesthésistes l’obligation de participer à l’élaboration de la programmation des interventions, et que l’article D 6 124-94 du même code dispose que l’anesthésie est mise en œuvre sous la responsabilité d’un médecin anesthésiste réanimateur qui doit assurer une surveillance clinique continue à l’aide des moyens mis à sa disposition par l’établissement conformément à l’article D 6 124-91 ,2°.
En conséquence, la Cour de Cassation considère qu’il incombe au médecin anesthésiste, sous la responsabilité duquel l’anesthésie est pratiquée, d’assurer directement ou par la fourniture de directives à ses assistants, un contrôle permanent des données fournies par les instruments afin d’adapter la stratégie anesthésique.
En relevant « qu’en s’absentant de la salle d’opération sans prévenir quiconque, alors qu’il venait de constater une hypotension artérielle ayant conduit à décider une suspension momentanée de l’arrivée de gaz anesthésiant qui avait entrainé une situation précaire devant faire l’objet d’une vigilance constante, le Docteur X a violé de manière délibérée les obligations particulières de prudence qui lui incombaient au titre des dispositions précitées ».
Elle a donc caractérisé « des manquements délibérés à des obligations de prudence et de sécurité exposées par les textes précités au médecin anesthésiste réanimateur lui-même ».
C’est la première fois que la Cour de Cassation a considéré que le décret du 5 décembre 1994 qui concerne d’abord les établissements de santé et les garanties qu’ils doivent aux patients concernant la sécurité en anesthésie est applicable aux médecins anesthésistes réanimateurs.
Cela signifie donc qu’une surveillance discontinue de l’anesthésie par un professionnel de l’anesthésie constitue bien aujourd’hui un manquement à une obligation de prudence et de sécurité prévue par un texte législatif ou un règlement qui suffit à caractériser une faute et peut ainsi au plan pénal constituer non seulement en elle-même une faute pénale mais également une circonstance aggravante.
Les peines encourues pour homicide involontaire sont alors portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende, en cas de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois elles sont portées à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 € d’amende, et en cas d’incapacité de travail inférieure ou égale à trois mois à un an d’emprisonnement et à 15 000 € d’amende.
Il sera souligné que cette consécration de la surveillance discontinue en anesthésie réanimation comme étant une obligation règlementaire de sécurité et de prudence pourrait également être utilisée pour la qualification de mise en danger.
Les médecins anesthésistes réanimateurs doivent désormais être conscients que la surveillance continue d’une anesthésie depuis l’induction jusqu’au transfert en SSPI ne constitue plus seulement aujourd’hui une règle de bonne pratique prévue par les recommandations de la SFAR mais bien une obligation règlementaire de prudence et de sécurité.
Cet arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation a également des répercussions sur les établissements de santé eux-mêmes ainsi que les opérateurs : la planification de programmes opératoires ne permettant pas d’assurer une surveillance continue de l’anesthésie engagera donc la responsabilité de tous les acteurs de la programmation et l’acceptation de débuter une intervention chirurgicale en ayant connaissance dès le départ d’un risque de discontinuité de la surveillance anesthésique engagera également l’opérateur au regard de ce qui est considéré aujourd’hui comme étant une obligation réglementaire de prudence et de sécurité opposable à tous .
Prise sur le fondement de la loi du 14 février 2022, l’ordonnance est relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées.
Elle a pour objectif de clarifier l'actuelle rédaction des dispositions législatives communément applicables aux professions libérales réglementées. Il s'agit de rendre la loi plus accessible aux professionnels et leur donner ainsi une vision claire des possibilités offertes par les différents régimes qui leur sont applicables, afin de simplifier l’exercice libéral et de favoriser la création et la croissance de ces entreprises.
Aux motifs que :
Si l’exercice sous forme de société, bien qu’il demeure minoritaire chez les professionnels libéraux, est de plus en plus prisé (le recours à la forme sociétaire est ainsi passé de 26.6% à 31.1% en 2017) car il répond au besoin croissant d’investissement des professionnels dans leur structure
Selon le Gouvernement, la complexité des règles applicables à cet exercice, leur opacité, la multiplication des régimes d’exercice ouverts et l’empilement des textes sont autant d’éléments dissuasifs pour les professionnels.
Principalement, une codification à droit constant :
Le Gouvernement a pris acte du fait que les dispositions de la loi° 90-1258 en particulier sur la détention du capital sont devenues de moins et moins lisibles au gré des réformes et a souhaité supprimer la confusion qui pouvait naitre de l’existence de régimes parallèles notamment pour les professions juridiques et judiciaires
Cette ordonnance propose de fondre en un texte unique l’ensemble des textes transversaux relatifs aux professions libérales réglementées avec une harmonisation des dispositions les concernant.
Ainsi seront abrogées la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles et la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, dont la substance sera reprise au sein de l'ordonnance.
Cette ordonnance a pour objectifs :
de simplifier et mettre en cohérence les règles relatives aux professions libérales soumises à un statut législatif et réglementaire ;
de faciliter le développement et le financement des structures d’exercice des professions libérales à l’exclusion de toute ouverture supplémentaire à des tiers extérieurs à ces professions du capital et des droits de vote
de sécuriser l’exercice et de renforcer l’indépendance des professionnels
Entrée en vigueur - Les dispositions de l’ordonnance entrent en vigueur le 1er septembre 2024 (Art. 134, I, al. 1er).
Des dispositions transitoires sont toutefois prévues en faveur de certaines sociétés (SELARL, SELAFA, SELAS, SELCA, SPFPL, etc.), qui disposent d’un an à compter de cette entrée en vigueur pour se mettre en conformité avec certaines exigences (Art. 134, II).
Dans le livre I qui traite des dispositions communes à l’ensemble des professions libérales, il est relevé :
La définition de la notion de profession libérale réglementée et la délimitation des contours des trois familles les regroupant (les professions de santé, les professions juridiques et judiciaires et les professions techniques et du cadre de vie)
Selon l’article 1er de l’ordonnance, les professions libérales réglementées groupent les personnes exerçant à titre habituel, de manière indépendante et sous leur responsabilité, une activité ayant pour objet d’assurer, dans l’intérêt du client, du patient et du public, des prestations mises en œuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées. Ces professions sont soumises à un statut législatif ou réglementaire ou leur titre est protégé. Elles sont tenues, quel que soit le mode d’exercice de leur profession et conformément aux textes qui régissent son accès et son exercice, au respect de principes éthiques ou d’une déontologie professionnelle susceptibles d’être sanctionnés par l’autorité compétente en matière disciplinaire.
Le professionnel exerçant (Art. 3) :
On entend, par professionnel exerçant, la personne physique ayant qualité pour exercer sa profession ou son ministère, enregistrée en France conformément aux textes qui réglementent la profession et qui réalise de façon indépendante des actes relevant de sa profession ou de son ministère.
Dans le domaine de la santé, les professions libérales réglementées regroupent les personnes exerçant à titre habituel, de manière indépendante et sous leur responsabilité, une activité ayant pour objet d’assurer, dans l’intérêt du patient, des prestations mises en œuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées.
Le professionnel exerçant demeure la personne physique ayant qualité pour exercer de façon indépendante et conformément aux textes qui régissent sa profession.
Le professionnel exerçant conserve donc son statut protégé et les règles déontologiques ou normes professionnelles spécifiques qui lui sont applicables.
La seule réalisation d’actes de gestion ne confère pas la qualité de professionnel exerçant.
L’amélioration de la lisibilité des dispositions applicables :
LIVRE I - Concernant les Sociétés Civiles Professionnelles et les Sociétés En Participation -SEP:
Les dispositions pré existantes concernant les SCP sont reprises au sein de l’ordonnance.
Il prévoit la simplification de la transmission, de la fin de vie des sociétés civiles professionnelles et de leur transformation en société pluriprofessionnel d’exercice (SCP) (Art. 27, 29, 30) ;
A noter que l’ordonnance prévoit la possibilité désormais pour les personnes morales d’être associées au sein d’une société en participation (SEP) de professions libérales.
Cette disposition est de nature à permettre aux associés quel que soit leur mode d’exercice de mettre en commun leurs honoraires et de permettre à chaque associé, professionnel exerçant de la SEP d’exercer au sein de la structure de son choix.
Le maintien des SCM
Comme précédemment les SCM sont une des formes permettant l’organisation des moyens d’exercice ; leur objet exclusif restant, comme actuellement, de faciliter à chacun de leurs membres l’exercice de leur activité.
Le livre III, consacré aux Sociétés d’Exercice Libéral, prévoit :
Une présentation améliorée des règles de constitution et de fonctionnement
Les dispositions de l’ordonnance permettent désormais une présentation plus lisible des caractéristiques essentielles des sociétés d’exercice libéral (constitution, dénomination, exercice, etc..). Des décrets complémentaires, profession par profession, restent possibles et vont être pris.
Il faudra être attentif à l’évolution des règles spécifiques des SEL permettant l’exercice médical et regroupées au sein de la partie réglementaire du Code de la Santé Publique.
Le maintien des règles actuelles sur la détention du capital et la répartition des droits de vote en SEL
Les dispositions spécifiques actuelles sur les règles de détention du capital, notamment par un tiers non exerçant et sur la répartition du capital et des droits de vote, demeurent.
Les participations interdites ou encadrées peuvent être réglementées par décret lorsque cette détention serait de nature à mettre en péril l’exercice de la profession dans le respect de l’indépendance des professionnels exerçants associés et de leurs règles déontologiques propres.
L’encadrement statutaire des modalités de retrait d’un associé exerçant en SEL
Autres mesures de clarification : il est désormais spécifié que les statuts peuvent prévoir les modalités de retrait d’un associé professionnel exerçant.
Les mesures statutaires ou portées au règlement intérieur pourront donc être reprises et retravaillées.
Des règles de gouvernance des SEL
Les règles de gouvernance sont réaffirmées autour de la notion de l’associé dirigeant, professionnel exerçant son activité au sein de la SEL, dans les règles actuelles et selon les formes dévolues à la société (SELARL, SELAS, SELAFA, commandite).
Les dirigeants restent les associés professionnels en exercice au sein de la société.
Cette ordonnance, n’a pas apporté de modification sur les modalités de droits de vote qui peuvent toujours être déconnectées de la détention du capital. Le principe des actions de préférence n’a pas été remis en cause.
Des montages avec des tiers extérieurs et non exerçants qui détiendraient 99 % des droits financiers resteraient donc toujours possibles, avec les mêmes limites dont l’indépendance d’exercice, le respect des règles de gouvernance et des répartitions assignées droits de vote / capital.
Le livre IV est une réécriture à droit constant des articles 31-3 et suivants de la loi n° 90-1258 sur les Sociétés Pluriprofessionnelles d’Exercice en regroupant toutes les dispositions relatives à la SPE dans un seul livre dont la lecture en sera ainsi simplifiée Le cadre des sociétés pluriprofessionnelles d'exercice (SPE) ouvre désormais explicitement la possibilité pour les associés de mettre en commun les moyens matériels, notamment immobilier, nécessaires au fonctionnement de leur activité.
Le livre V - L’amélioration du dispositif des holdings libérales et l’élargissement de leur périmètre d’intervention afin de favoriser le développement économique des entreprises libérales (Art. 110 à 128) ;
Les Sociétés de Participations Financières des Professions Libérales - SPFPL constituent un outil de gestion capitalistique apprécié des professionnels pour favoriser le développement économique et la structuration des groupes.
Leur périmètre a été élargi à la détention, la gestion et l’administration de tous biens et droits immobiliers et à la fourniture de prestations de services, sous réserve toutefois, comme c’était déjà le cas, que ces missions soient destinées exclusivement au fonctionnement des sociétés ou groupements dans lesquels elles détiennent une participation.
Les personnes morales peuvent désormais être admises comme associées au sein des SPFPL, y compris les personnes européennes ; les SPFPL peuvent être mono professionnelles ou pluri professionnelles notamment pour les professions juridiques, d’expert-comptable ou techniques.
Une nouvelle disposition relative à la survivance des holdings est notamment introduite afin d’éviter aux professionnels des dissolutions non voulues en cas de transmission d’une SEL unique détenue par une SPFPL.
L’amélioration de la transparence du fonctionnement des structures d’exercice vis-à-vis des Ordres tendant à accroitre l’efficacité de leur surveillance et à maintenir d’indépendance de l’exercice.
Par un contrôle accru des Ordres et/ou Autorités compétentes auxquels, une fois par an, la société (y compris les SPFPL) adresse un état de la composition de son capital social et des droits de vote afférents, ainsi que la version à jour des statuts.
Doivent également être adressés par les associés de la société, les conventions contenant des clauses portant sur l’organisation et les pouvoirs des organes de direction, d’administration, ou de surveillance ayant fait l’objet d’une modification au cours de l’exercice écoulé.
Il s’agit ici de restaurer le contrôle ordinal de l’indépendance d’exercice et de tenter de mettre fin à des usages de communications partielles, notamment des pactes et conventions qui pourraient, dans leur esprit ou leurs effets, être contraires aux dispositions légales.
Etant rappelé que le défaut de communication, comme la communication partielle, constituent des motifs de poursuites disciplinaires.
Dans le même souci de protection de l’indépendance du professionnel exerçant, l’ordonnance permet le rachat par la société de ses parts ou actions à l’expiration des délais légaux de détention des titres, en cas de retrait du professionnel exerçant ou en cas de décès (auprès de ses ayants droit) ; cela contribue à clarifier les conditions de détention autour des associés exerçants et limite les cas de détention contraires à l’esprit des textes.
Les délais de mise en conformité pour satisfaire aux exigences de détention du capital et des droits de vote sont portés d’un à deux ans pour permettre une transition négociée plus aisée et la régularisation des situations non conformes aujourd’hui.
Que va-t-il se passer pour les sociétés qui ne sont pas conformes ? L’Ordre des médecins va-t-il exercer un contrôle renforcé et des audits des sociétés actuelles ou à venir ?
Conclusion :
Cette ordonnance ne constitue pas en soi une grande innovation mais a le mérite de regrouper tous les textes, d’en faciliter la lecture et de les mettre en cohérence.