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Attention à la chute, vous pourriez tomber de haut !

Responsabilité Médicale

le 10/02/2020

Au bloc opératoire, le chirurgien, l’anesthésiste et l’infirmier de bloc disposent de compétences propres qu’ils mettent en œuvre au service du patient et pour lesquelles chacun est responsable. Mais les professionnels de santé qui prêtent leur concours à une intervention chirurgicale constituent aussi une équipe au chevet du patient….

Les faits médicaux

En 2012, une patiente, âgée de 37 ans et présentant un IMC de 40, souffrait d’une insuffisance veineuse superficielle pour laquelle elle avait déjà bénéficié d’une intervention chirurgicale.

Une reprise chirurgicale devait être réalisée en raison d'un écoulement persistant. 

L'opération, consistant en un parage de la cicatrice jambière droite, était réalisée par le Dr CHIR et l'anesthésie générale assurée par le Dr MAR.

Au cours de l'opération, alors qu'elle était installée sur une table d'opération inclinée d'une quinzaine de degrés, la patiente chutait de la table générant un traumatisme crânien et un arrachement osseux sous-chondraux de l'articulation acromio-claviculaire droite.

Le rapport d’expertise judiciaire

L’Expert spécialisé en médecine générale ne retenait aucun manquement à l’encontre des Docteurs CHIR et MAR en lien avec la chute de la patiente de la table d’opération : 

« Les actes et les soins prodigués à la patiente par les Docteurs CHIR et MAR à la Clinique semblent avoir été attentifs, diligents et conformes aux règles de l’art et aux données acquises de la science à l’époque des faits. 

(…)

Les collections hémorragiques cérébrales dont a été victime la patiente sont en relation directe et certaine avec sa chute mais sa chute ne constitue pas un manquement thérapeutique de la part des médecins qui l’ont prise en charge. 

(…)

Enfin, nous pensons pouvoir estimer raisonnablement que le Docteur CHIR a agi de manière conforme aux données de la science et que la chute dont a été victime la patiente n’est pas un manquement de sa part.

(…)

En tout état de cause la chute d’un patient d’une table d’examen est évidemment parfaitement anormale. Il ne s’agit pas d’un accident médical non fautif mais d’un accident commun ».

Les débats et Le jugement 

Malgré un rapport d’expertise écartant toute responsabilité des Docteurs CHIR et MAR, la patiente poursuivant sa démarche indemnitaire assignait non seulement l’établissement, mais également les deux praticiens afin d’obtenir l’indemnisation des ses préjudices.

Il a été développé devant le Tribunal l’argumentation qui suit : 

La Check-list « sécurité du patient au bloc opératoire » prévoit la vérification avant l’induction anesthésique « du mode d’installation » préconisé et que « l’équipement / le matériel nécessaires pour l’intervention soient vérifiés et adaptés au poids et à la taille du patient », une nouvelle vérification de l’installation devant être faite avant l’incision.

La check-list doit être renseignée, après partage des informations, entre les membres de l’équipe et engage ainsi la responsabilité de chacun des signataires, soit le chirurgien, l’anesthésiste et l’établissement de santé.

Si la survenance d’une chute au bloc opératoire évoque généralement la responsabilité des médecins et de la Clinique, encore faut-il établir un défaut de surveillance et ou un défaut de collaboration entre eux

En l’espèce, la situation était sensiblement différente. 

Durant l’intervention, la patiente était placée en decubitus dorsal avec une légère inclinaison de la table chirurgicale d'une quinzaine de degrés vers le chirurgien afin de lui permettre un abord correct sur la jambe droite. La patiente était sanglée à la table par des velcros et c’est en fin d'intervention que le matelas fixé par du velcro au châssis métallique de la table opératoire s’est détaché de celui-ci et a ainsi entraîné la patiente dans sa chute sur le chirurgien qui n’a pas été en mesure de la retenir. 

Il ne s’agissait pas ici d’une chute pure et simple de la patiente de la table par un défaut de surveillance, mais d’un « démontage » soudain de la table d’intervention sur laquelle la patiente était installée durant l’opération, entraînant le matelas et la patiente dans sa chute. 

La patiente reprochait à ce titre l’absence d’installation de mesures de précaution supplémentaires telles que des sangles ou bordures de sécurité qui auraient permis d’éviter sa chute.

Nous avions précisé au Tribunal que la mise en place de cale ou d’appui n’est pas recommandée ni obligatoire dans ce type de chirurgie de parage et de suture d’une cicatrice de phlébectomie dans la mesure où cela entraîne une gêne pour l’opérateur. Et qu’en tout état de cause ces mesures de protection sont parfaitement dépourvues de lien avec la chute dès lors que celle-ci n’est due qu’à un dysfonctionnement du matériel lui-même. Des barrières de sécurité supplémentaires n’auraient pas empêché la chute puisque c’est le support même de la table d’intervention qui s’est désolidarisé du reste…

La Clinique, qui cherchait à se dégager d’une responsabilité pleine et entière, indiquait qu’elle mettait à la disposition des chirurgiens deux types de tables d’opération selon le poids des patients et qu’il incombait chirurgien de choisir la table adaptée à son patient.

La Clinique était cependant dans l’impossibilité de rapporter la preuve de cette allégation, contestée par les praticiens.

Nous insistions surtout sur le fait que la chute de la patiente était en l’espèce parfaitement indépendante de l’utilisation d’un modèle de table plutôt qu’un autre, dès lors que les matelas étaient fixés par le même procédé de bandes velcro pour les deux types de table, sans renfort supplémentaire, et que les praticiens avaient pris l’ensemble des précautions nécessaires et respecté les règles de bonnes pratiques médicales.

Le Tribunal a suivi notre argumentation et a considéré aux termes de son jugement devenu définitif : 

« (…) La corpulence de la patiente imposait au Dr CHIR mais également au Dr MAR de s'assurer que l'opération se déroulait dans des conditions adaptées à celle-ci. A ce titre, le fait qu'elle ait été sanglée à la table confirme que des dispositions ont été mises en œuvre pour éviter sa chute. 

En revanche, la mise à disposition d'une table adaptée à la corpulence de la patiente relevait des attributions de la Clinique. La chute de la patiente de la table révèle le caractère inadapté de celle-ci à sa corpulence, ce que les personnels de la Clinique en charge de la préparation de la salle d'opération ne pouvaient ignorer. Ainsi, la Clinique a commis une faute et sa responsabilité doit être engagée. En revanche, en l'absence de faute, les responsabilités des Docteurs CHIR et MAR seront écartées ». 

Conclusion

La sécurité du patient en salle d’opération est primordiale et incombe à chacun des membres de l’équipe médico-chirurgicale présente au bloc, quelle que soit sa spécialité et sa qualification, ainsi qu’au personnel infirmier de bloc salarié de la Clinique. 

Si dans cette affaire, nous avons pu mettre hors de cause les Docteurs CHIR et MAR, c’est parce que nous avons pu démontrer que la chute ne relevait pas d’une installation non conforme aux règles de l’art ou d’un défaut de surveillance, mais de la révélation brutale du caractère inadapté du matériel mis à leur disposition par la Clinique, et impliquant donc l’entière responsabilité de cette dernière. 

S’il est important que les praticiens demandent à l’établissement de leur fournir du matériel adapté aux interventions et aux patients, ils ne peuvent pour autant être tenus responsables d’un matériel défectueux fourni par la Clinique et censé répondre à ces impératifs. 

Si la vigilance demeure de mise pour tout le monde, elle connaît cependant ses limites ! 

Ce dossier illustre en outre l’intérêt pour les praticiens d’être assuré auprès d’une compagnie distincte de son établissement !

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Responsabilité Médicale

le 04/02/2020

S’il peut parfois être tentant d’apprécier la conformité de la prise en charge des professionnels de santé à la lumière de la complication survenue, il est impératif pour l’Expert de ne pas se laisser emporter par un tel raisonnement, l’existence d’un manquement devant nécessairement s’analyser sur le plan médico-légal au moment de l’acte litigieux.

Les faits médicaux

En l’espèce, à la suite de douleurs persistantes et d'aggravation de pertes urinaires, une patiente âgée de 79 ans consultait le Docteur CHIR, lequel diagnostiquait un prolapsus génital avec incontinence urinaire d’effort.

Quelques mois plus tard, la patiente était opérée par le Docteur CHIR pour une cure de prolapsus associée à une hystérectomie totale. Les suites opératoires immédiates étaient simples.

Toutefois, le lendemain de l’intervention, la patiente présentait une hémorragie interne nécessitant une reprise chirurgicale en urgence avec laparotomie, mettant en évidence un important hématome pelvien en rapport avec un saignement au niveau d’une branche d’une artère utérine droite. 

Deux semaines plus tard, une nouvelle intervention chirurgicale était réalisée sous anesthésie générale pour l’ablation d’une mèche pelvienne. Le Docteur MAR s’était chargé de la consultation pré anesthésique et de l’anesthésie de la patiente. Or au cours de cette intervention, la patiente présentait une régurgitation, suivie d'un syndrome d’inhalation bronchique compliqué d’un syndrome de détresse respiratoire aigüe justifiant une intubation orotrachéale et une ventilation assistée.

En raison de son état de santé préoccupant, la patiente était transférée en réanimation au Centre Hospitalier où le diagnostic de choc septique compliquant une pneumopathie d’inhalation était établi.

La patiente était transférée en service de médecine polyvalente deux mois plus tard puis regagnait son domicile une semaine après. Jusqu'à son décès survenu 5 ans après l’intervention, la patiente ne pouvait se déplacer qu’à l’aide d’un déambulateur et d’un fauteuil roulant pour les sorties extérieures. Elle n’était plus autonome et une aide quotidienne lui était devenue indispensable.

Six mois après son retour à domicile, la patiente sollicitait l’organisation d’une mesure d’expertise médicale auprès du Tribunal judiciaire

Le rapport d’expertise

L’Expert gynécologue-obstétricien a qualifié la complication hémorragique initiale d’accident médical non fautif et validé la gestion de cette complication par une reprise chirurgicale rapide. 

Toutefois, selon le Sapiteur anesthésiste, le Docteur MAR aurait dû, par précaution, réaliser une anesthésie générale avec intubation afin d’éviter l’inhalation :

« La discussion de la prise en charge du Docteur MAR concerne le choix de ne pas avoir intubé la patiente avant le retrait du drain. Cette intubation aurait évité l’inhalation et les complications qui s’en sont suivies.

Le délai très court d’anesthésie, l’absence de vomissements depuis 3 jours expliquent ce choix.

Néanmoins, la patiente avait présenté les jours précédents des troubles importants de la vidange gastrique avec suspicion d’ulcère et nécessité de mise en place d’une sonde d’aspiration naso gastrique.

Même si ces troubles avaient régressé depuis 3 jours, la prudence aurait été de prendre les précautions d’usage qui sont recommandées par la SFAR (société française d’anesthésie et de réanimation) devant une suspicion d’estomac plein : intubation systématique et protocole d’induction rapide avec manœuvre de Sellick et absence de ventilation au masque afin de ne pas favoriser les régurgitations.

Il y a eu sur ce point précis une imprudence de la part du Docteur MAR sans constituer pour autant de faute médicale car les options choisies pouvaient se discuter ».

Le jugement 

Au vu du rapport d’expertise, la patiente assignait l’ONIAM, la CPAM et le Docteur MAR, demandant à titre principal la condamnation de ce dernier à l’indemniser de ses préjudices en raison d’un manquement à son obligation de prudence lors de l’anesthésie réalisée, estimant que cette faute était directement à l’origine du syndrome de détresse respiratoire aigüe. 

Ce rapport d’expertise a été contesté par le Dr MAR et le Tribunal a repris dans les motifs de son jugement, devenu définitif, son argumentation en considérant :

« (…)  Au moment de la prise en charge de la patiente, le recours à la procédure d'anesthésie avec séquence d'induction rapide n'est donc pas spécialement recommandé et ce, d'autant moins qu'il est tout à fait usuel de ventiler au masque sans intubation orotrachéale pour un geste chirurgical extrêmement bref, puisque l'intervention n'a duré que 5 à 10 mm, de telle sorte que la technique de l'intubation, consistant à rentrer dans la trachée par la bouche une sonde d'intubation semi-rigide, est une procédure disproportionnée au vu de la brièveté de l'intervention et de la fragilité de la patiente.

En réalité, la préconisation du recours à l'intubation ne s'est révélée légitime qu'une fois la complication apparue, lorsqu'il a été observé une régurgitation bilieuse dès l'induction de l'anesthésie.

Il est apparu alors qu'une intubation aurait été préférable.

Cependant, c'est seulement à l'aune d'une analyse rétrospective des faits qu'il doit être admis que le médecin a probablement fait un choix dommageable, ce que l'expert qualifie « d'imprudence », sans que l'erreur ainsi commise ne caractérise, selon lui, une faute médicale au sens de l'article L.1142-1 rappelé plus avant.

La responsabilité du docteur MAR doit donc être écartée et les demandes formées à son encontre doivent être rejetées ».

Conclusion

Ce dossier illustre la tentation que peuvent encore avoir certains Experts à procéder à une analyse purement rétrospective des faits pour déterminer la conformité de la prise en charge d’un professionnel de santé. Or ce n’est parce que ce qui est arrivé est arrivé que ce qui a été fait a été mal fait !

 « L’imprudence » reprochée au Docteur MAR était d'avoir fait le choix de ne pas intuber la patiente avant le retrait du drain. Si une imprudence fautive peut engager la responsabilité d'un praticien, la pertinence du choix de ce dernier doit s'analyser au moment de l'acte litigieux et non en fonction de la complication survenue après !

En réalité, outre l’écueil d’une analyse rétrospective, l’Expert avait appliqué les recommandations de la SFAR à une situation qui ne correspondait pourtant pas aux cas mentionnés dans la littérature… Car si effectivement les recommandations de la SFAR sur la prise en charge des voies aériennes en anesthésie adulte de 2002 indiquent que la règle est de pratiquer une anesthésie avec séquence à induction rapide à la moindre suspicion d’estomac plein, il n’est en revanche absolument pas recommandé de le faire en l’absence de facteur prédisposant. Ici les options en présence étaient parfaitement discutables au regard des recommandations en la matière et des données acquises de la science…

Les éléments portés à la connaissance du Docteur MAR au moment de sa prise en charge de la patiente, à savoir que cette dernière ne présentait aucun facteur intrinsèque de risque d'inhalation (tels qu’obésité, diabète, etc…), une anesthésie programmée avec une patiente préparée (à jeun), des précédentes anesthésies ne révélant aucun risque d'intubation difficile, permettaient d’écarter une suspicion « d'estomac plein » impliquant intubation en séquence rapide.

S'il est exact que la patiente a présenté dans les jours qui ont suivi la reprise chirurgicale des vomissements nécessitant la mise en place d'une sonde gastrique, nous avons souligné qu’il s’agissait d’effets indésirables, tout à fait classiques dans ce type de chirurgie, qui avaient cessé quatre jours avant l'anesthésie pour le retrait du drain, période durant laquelle la patiente n'a présenté aucune symptomatologie digestive et en particulier, aucun signe d'occlusion. Elle n'avait d'ailleurs bénéficié de la sonde gastrique que durant 24h. Les troubles digestifs constatés dans les quatre jours ayant suivi l'intervention pouvaient donc être qualifiés de « ponctuels ».

C’est pourquoi le Tribunal a reconnu qu’au moment de sa prise en charge, la patiente ne pouvait aucunement être considérée comme prédisposée à un risque d’inhalation, et que la procédure d’anesthésie avec séquence d’induction rapide n’était donc pas recommandée.

La mise hors de cause du Docteur MAR a été obtenue en référence avec littérature médicale à l’appui, aux règles de l’art applicables au moment où cette question s’est posée à lui.

Il convient donc de toujours rappeler à l’Expert qu’une analyse médico-légale «ne se fait à partir de la fin de l’histoire mais du début, étape par étape, au regard des informations disponibles à l’instant où le professionnel de santé placé a du prendre des décisions adaptées pour ses patients. 

À propos du Cabinet
Le Cabinet AUBER a été créé en 2003 à l’initiative de Philip COHEN et Marie-Christine DELUC, avocats qui exerçaient dans des domaines distincts mais complémentaires.
Dans le domaine du droit de la santé, Avocat des principaux syndicats de médecins libéraux, généralistes ou spécialistes (CSMF, SNARF, FNMR, FFMKR…), et avocat référent du Cabinet BRANCHET, le Cabinet AUBER accompagne, conseille et défend les médecins dans tous les domaines concernant leur exercice professionnel.
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