NOS PUBLICATIONS.

Choix de la technique d’anesthésie et volonté du patient

Responsabilité Médicale

le 27/04/2021

Dans le choix de la technique d’anesthésie, le professionnel avisé est bien évidemment l’anesthésiste mais la volonté du patient reste primordiale…

 

Les faits

 

Une patiente est reçue en consultation pré-anesthésique par le Docteur MAR 1 dans la perspective d’une intervention de canal carpien gauche par le Docteur CHIR. Après discussion avec la patiente qui lui fait part d’une anxiété importante en lien avec l’intervention, ce dernier préconise la réalisation d’une anesthésie générale.

 

Le jour de l’intervention, la patiente est vue en visite pré-anesthésique par le Docteur MAR 2 qui discute de nouveau des différentes techniques d’anesthésie et lui explique pourquoi la réalisation d’une anesthésie locorégionale lui semble plus adaptée à l’intervention dont elle va bénéficier. 

 

La patiente indique au Docteur MAR 2 qu’elle avait « peur d’entendre et de voir l’intervention », ce dernier la rassure, lui explique qu’elle sera prémédiquée et lui rappelle les avantages de cette technique. A l’issue de cette nouvelle discussion, la patiente indique au Docteur MAR 2 qu’elle lui fait confiance.

 

Considérant avoir recueilli le consentement de la patiente, le Docteur MAR 2 réalise une anesthésie locorégionale ce qui permet au Docteur CHIR de procéder sans difficulté au geste chirurgical programmé.

 

Dans les suites de cette intervention, la patiente présente une algodystrophie de la main gauche résistante aux infiltrations et à la rééducation ainsi qu’une fibrose cicatricielle nécessitant une reprise chirurgicale deux ans après le premier geste pour libération du nerf médian avec mise en place d’un lambeau graisseux de protection.

 

Les griefs

 

Reprochant au Docteur MAR 2 de ne pas avoir procédé à une anesthésie générale comme cela avait été convenu avec le Docteur MAR 1, la patiente dépose auprès de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) une demande d’indemnisation à l’encontre du Docteur MAR 2 et du Docteur CHIR qui aurait « couvert » son confrère anesthésiste réanimateur.

 

Trois Experts sont nommés par la Commission : un chirurgien orthopédique, un anesthésiste réanimateur et un psychiatre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le rapport d’expertise

 

Les Experts ont retenu la responsabilité du Docteur MAR 2 considérant que le changement de technique d’anesthésie effectué par celui-ci était une faute de nature à engager sa responsabilité.

 

Selon eux :

 

« Le refus clairement exprimé par la patiente d’une anesthésie locorégionale, constituait à lui seul une contre-indication absolue à y recourir, même s’il n’avait pas été trouvé une pathologie médicale pour y renoncer.

 

Après analyse psychiatrique, il apparait que la structure de la personnalité de la patiente l’exposait à une complication dans le cas où le déroulement des faits ne serait pas conforme à sa volonté, ce qui a été le cas.

 

Ainsi le non-respect par le Docteur MAR 2 des engagements pris en consultation d’anesthésie par son confrère doit être considéré comme directement à l’origine des complications advenues ».

 

Les arguments de défense du Docteur MAR 2

 

Pour la défense du Docteur MAR 2, il avait été mis en évidence le principe selon lequel le choix définitif de la technique d’anesthésie se fait à l’issue de la visite pré-anesthésique et appartient à l’anesthésiste prenant effectivement en charge le patient et en accord avec ce dernier.

 

Le compte-rendu de la consultation pré-anesthésique concluait uniquement à une « AG » sans mentionner les raisons pour lesquelles cette technique avait été choisie et le fait que la patiente était totalement opposée à la réalisation d’une anesthésie locorégionale.

 

Il a été rappelé l’existence d’une information sur les bénéfices et les risques des différentes techniques d’anesthésie délivrée par le MAR 1 avec la signature par la patiente d’un consentement écrit mentionnant notamment que cette dernière acceptait « les modifications de méthode qui pourraient s’avérer nécessaires pendant l’intervention ».

 

Le Docteur MAR 2 avait oralement détaillé les éléments de la nouvelle discussion qui avait eu lieu avec la patiente au cours de la visite pré-anesthésique le jour de l’intervention.

 

Enfin, il avait été mis en avant le fait qu’il n’est pas possible de réaliser une anesthésie locorégionale sans la participation et la coopération du patient et encore moins s’il s’y refuse.

 

L’avis CCI

 

La Commission est restée sourde face à ces arguments et a considéré aux termes de son avis que :

 

« Le Docteur MAR 2 a réalisé une anesthésie locorégionale alors que, lors de la consultation pré-anesthésie, il avait été convenu et noté la réalisation d’une anesthésie générale compte tenu du stress de la patiente. Ce changement de mode opératoire a été décidé de manière unilatérale par le Docteur MAR 2 qui en a informé la patiente avant son entrée au bloc opératoire.

 

Pour les Experts, compte tenu de la demande expresse de la patiente, aucun élément ne permet d’affirmer qu’informée des risques de l’anesthésie loco-régionale, elle l’aurait acceptée. En page 20 de leur rapport, les hommes de l’art indiquent que « le refus clairement exprimé par la patiente constituait à lui seul une contre-indication absolue à y recourir » chez cette patiente anxieuse, qui avait déjà manifesté son souhait lors de la première intervention de bénéficier d’une anesthésie générale. La patiente installée sur un brancard juste avant le début de l’intervention n’était pas en mesure de consentir à l’acte car elle était déjà prémédiquée.

 

Le choix critiquable de la technique d’anesthésie mis en œuvre par le Docteur MAR 2 contraire à la demande exprimée par la patiente est à l’origine pour les hommes de l’art d’un « traumatisme psychique d’une importance telle que son équilibre psychique s’en est trouvé malmené pour l’amener à une cascade de troubles physiques complexes ». Le choix de cette technique a décompensé un état psychique qui n’était jusqu’alors pas connu. Si elle avait été informée en temps utile de ce changement de technique d’anesthésie, elle aurait pu s’y soustraire, refuser l’intervention et l’algodystrophie ne serait pas apparue.

 

Il est ainsi établi que le préjudice subi par la patiente est directement imputable à une faute commise par le Docteur MAR 2 ».

 

Conclusion

 

Cette affaire souligne la place du patient quant au choix de la technique d’anesthésie et l’importance de la traçabilité du dossier à ce propos.

 

Lors de la CPA le patient doit être informé des différentes techniques envisageables et non pas seulement de celle envisagée par l’anesthésiste. Cela est d’autant plus indispensable qu’une modification ultérieure de la technique anesthésique initialement choisie peut être nécessaire.

 

En cas de préférence affirmée du patient pour une technique d’anesthésie sans contre-indication, il y a lieu de respecter ce choix car toutes les complications résultant d’une autre technique lui seront à coups surs reprochées. Il appartient à l’anesthésiste de convaincre le patient de telle ou telle technique qui lui parait la plus adaptée, de tracer les éléments de discussion mais à défaut, il devra respecter le choix du patient dûment informé.

 

S’il doit être discuté dans le cadre de la visite pré-anesthésique d’une modification de la technique, cette discussion doit être tracée par écrit de façon précise en mentionnant le consentement du patient ne pouvant avoir lieu quelques minutes avant la réalisation de l’acte et avec un patient déjà prémédiqué.

 

Le patient doit donner valablement et librement son consentement sur la nouvelle technique proposée car à défaut le patient n’acceptera pas les risques des complications même non fautives en résultant, c’est l’anesthésiste lui-même qui se met alors en risque.

 

 

Si l’anesthésiste considère que la technique demandée par le patient se heurte à une contre-indication formelle par les risques auxquels elle expose ce dernier, il a alors la liberté en conscience professionnelle de se récuser et de faire reporter l’intervention de manière à inviter le patient à faire choix d’un autre anesthésiste.

 

Rappelons que selon la jurisprudence, il a déjà été considéré qu’un patient qui s’était obstiné à solliciter une technique d’anesthésie dont il avait été dument informé des risques qu’elle présentait pour lui ne pouvait s’en plaindre si ceux-ci s’étaient réalisés.

 

Une fois encore, le dossier médical reste le bouclier de l’anesthésiste.

Lire la suite
Cette publication peut également vous intéresser.

Médecins et cybercriminalité : comment se prémunir et quels sont les risques en cas de divulgation des données de santé de ses patients ?

Responsabilité Médicale

le 09/03/2021

Si dans un premier temps, la cybercriminalité touchait essentiellement les grands groupes, les établissements de santé et les cabinets médicaux ne sont plus épargnés et les données de santé sont devenues une cible privilégiée des hackers.

 

En effet et au cours de ces dernières années, plusieurs établissements de santé ont été victimes de cryptovirus, logiciel malveillant qui chiffre les données d'un réseau afin de réclamer une rançon en échange de la clé de déchiffrement (on parle alors de "rançongiciel").

 

Dans un rapport du centre gouvernemental de veille, d'alerte et de réponse aux attaques informatiques (CERT-FR) publié le 5 février 2021, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) a noté une progression de 255%, en 2020, des signalements d'attaques par rançongiciels.

 

Le secteur de la santé se trouve parmi les plus impactés et serait d'autant plus ciblé depuis le début de la crise sanitaire, comme en témoignent les récentes attaques de l’AP-HP en mars 2020, des Centres Hospitaliers de DAX et de VILLEFRANCHE SUR SAONE en février 2021 suivies quelques jours après d’une importante fuite de données collectées par une trentaine de laboratoires de biologie médicale.

 

Si d’un côté, les établissements de santé ont vu leur activité paralysée durant quelques heures voire quelques jours, c’est aujourd’hui près de 500 000 patients qui ont pu voir leurs données de santé circuler librement sur internet …ce qui n’est pas sans conséquence en terme de responsabilité des professionnels de santé.

 

En effet, si ces attaques se multiplient dans les « petites structures », c’est qu’elles ne sécurisent pas toujours suffisamment ces données sensibles et sont donc encore aujourd’hui des proies faciles.

 

Depuis son entrée en vigueur le 25 mai 2018, le RGPD est venu renforcer la responsabilité des organismes et des professionnels de santé.

 

Au terme d’un guide élaboré et rédigé conjointement avec la CNIL en juin 2018, le Conseil National de l’Ordre des Médecins confirme que les médecins sont doublement concernés car la protection des données personnelles s’articule avec leur secret professionnel et décrit précisément les procédures à mettre en place :

 

https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/guide-cnom-cnil.pdf

 

Quelques points précis sont ainsi à vérifier par le médecin afin de s’assurer de sa mise en conformité avec le RGPD sous peine de sanction au titre d’une violation du secret médical mais également d’une amende administrative ou financière par la CNIL pouvant aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaire annuel du cabinet.

 

 

 

 

 

Il est important de relever au titre de ces obligations, la nécessité :

 

 

 

1)    de sécuriser les données:

 

 

AVANT TRAITEMENT DES DONNEES

LORS DU TRAITEMENT DES DONNEES

Vérification du système informatique :

-       Serveur / logiciel / hébergeur/ cloud / WIFI sécurisé / sauvegarde régulière

-       Messagerie : professionnelle et cryptée

-       ordinateur : mot de passe régulièrement renouvelé, mécanisme de verrouillage systématique au-delà d’une période de veille, pare-feu, antivirus régulièrement mis à jour

-       VPN pour accès à distance

 

Réception et transmission des données

- Anonymisation des données : suppression des noms, numéro d’identification, données de localisation, identité physique, génétique, psychologique, économique, culturelle, sociale…

- Envoi sécurisé via messagerie cryptée et ou pièces jointes protégées par code d’accès : bannir les messageries type gmail, wetransfer, pdf…

Vérification des contrats :

 

-       secrétaire / salariés

insérer une clause au contrat au titre du respect du secret et de la confidentialité

-       sous-traitant / fournisseur (notamment logiciels de consultations: s’assurer que les sous-traitants se sont mis en conformité

Conservation

 

Verrouillage de l’ordinateur, modification du mot de passe

Accès limités ou non autorisés aux informations par les autres membres du cabinet selon leurs fonctions et qualités

 

 

 

 

 

 

 

 

2)    de notifier toute violation des données à la CNIL :

 

En effet, en cas de violation, suppression, perte, modification des données ou accès ou divulgations non autorisés des données suite à une violation de sécurité, le médecin a une obligation d’en établir un rapport et de notification à la CNIL sous 72h et aux personnes concernées dans les meilleurs délais.

Si la violation de données engendre un risque élevé pour les droits et libertés des patients concernés, sur demande de la CNIL ou à l’initiative du médecin, il convient de communiquer dans les meilleurs délais à la personne concernée cette violation, excepté si les données avaient été chiffrées rendant impossible leur lecture, ou si des mesures ultérieures prises garantissent que le risque élevé n’est plus susceptible de se matérialiser.

Cette communication doit intervenir individuellement ou, si cela exige des efforts disproportionnés, par une communication publique. Elle contient, a minima, les éléments suivants : nom et coordonnées du contact de votre cabinet, conséquences probables, mesures prises ou à prendre pour remédier à la violation, y compris, le cas échéant, les mesures pour en atténuer les éventuelles conséquences négatives.

Il convient par ailleurs d’inscrire cette violation de données à caractère personnel. Cette inscription peut se faire dans un registre spécifique.

Dans l’hypothèse d’une rancongiciel, il est important de ne pas céder à la demande de rançon et en toutes hypothèses, de contacter le plus rapidement possible, son assurance de responsabilité professionnelle pour l’informer de l’incident et obtenir une aide juridique.

Attention, si l’incident a eu lieu au sein d’établissements de santé, d’hôpitaux des armées, de laboratoires de biologie médicale ou de centres de radiothérapie, la structure doit également notifier l’incident à l’Agence Régionale de Santé compétente.

Pour conclure et face au développement des cyber-attaques dans le domaine de la santé, il est fortement recommandé de vérifier le niveau de sécurité de son cabinet et de vérifier auprès de votre compagnie d’assurance que vous êtes bien couverts au titre des risques de cyber-attaques.

À propos du Cabinet
Le Cabinet AUBER a été créé en 2003 à l’initiative de Philip COHEN et Marie-Christine DELUC, avocats qui exerçaient dans des domaines distincts mais complémentaires.
Dans le domaine du droit de la santé, Avocat des principaux syndicats de médecins libéraux, généralistes ou spécialistes (CSMF, SNARF, FNMR, FFMKR…), et avocat référent du Cabinet BRANCHET, le Cabinet AUBER accompagne, conseille et défend les médecins dans tous les domaines concernant leur exercice professionnel.
Nos compétences
Avocats associés