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Cour de Cassation, surveillance anesthésique, savoir de quoi on parle

Responsabilité Médicale

le 10/04/2019

Un arrêt rendu le 15 janvier 2019 a remis à la une de l'actualité anesthésique les questions relatives à la surveillance continue de l'anesthésie, à la présence du médecin anesthésiste en salle d'opération et ses possibilités de déléguer celle-ci à un IADE et à une personne d'autre.

I. RETOUR SUR LES CIRCONSTANCES PARTICULIERES DE L’AFFAIRE

Mlle D, dans un contexte de douleurs pelviennes, devait bénéficier de deux interventions par un chirurgien gynécologique, réalisées en deux temps, consistant d’abord en un curetage biopsique de l’utérus puis en une coelioscopie exploratrice.

À l’occasion de la première intervention, le médecin anesthésiste réanimateur, le Dr X, a procédé à l’intubation de la patiente et à l’anesthésie générale. La biopsie étant terminée, et alors qu’aucun acte invasif opératoire n’était en cours, le Dr X a dû s’absenter quelques minutes pour répondre à un appel d’urgence en SPPI, située à proximité immédiate, pour une patiente post-césarienne.

Le Dr Y, chirurgien gynécologique, se trouvait quant à lui dans une salle attenante à la salle d’intervention où il procédait à un changement de tenue en vue du second temps chirurgical.

Le Dr X a laissé temporairement sous la surveillance d’une IBODE (faisant fonction en l’occurrence d’aide opératoire), assistée d’une aide-soignante, personnels expérimentés, en indiquant « surveillez-la ».

Durant ce laps de temps, l’IBODE et l’aide-soignante, en l’absence de tout médecin et de consignes données à ce propos, ont pris l’initiative de changer la patiente de position opératoire.

Suite à ce changement de position, l’aide-soignante a quitté la salle, de 7m² de superficie laissant seule l’IBODE…

C’est alors qu’est survenue une déconnexion entre le circuit du ventilateur et la sonde d’intubation par un mécanisme de traction sur les tuyaux lors du changement de position.

C’est l’aide-soignante à son retour qui, entendant les alarmes, s’est aperçue de la situation et a appelé le Dr X qui s’est immédiatement rendu en salle d’opération. Elle a alors constaté des signes de bradycardie et a prodigué à Mlle D les soins de réanimation adaptés sollicitant l’aide d’un IADE et de confrères et organisant son transfert vers le Centre hospitalier (CH).

A son arrivée au CH, il était constaté que la patiente se trouvait dans un état neuro-végétatif et il est apparu, au regard des dommages neurologiques présentés par la patiente, que l’appel au médecin anesthésiste réanimateur n’avait pas dû être immédiat mais tardif.

II. RETOUR SUR LA PROCEDURE PENALE

Le Dr X, médecin anesthésiste réanimateur, avait donné à la famille, comme première explication de la déconnexion de la sonde d’intubation, la survenue d’un bronchospasme, pensant à ce moment-là avoir été immédiatement appelé par le personnel paramédical, ce qu’allaient forcément infirmer les conséquences neurologiques constatées par la suite.

Des lettres anonymes adressées à la famille indiquant notamment que l’anesthésiste n’était pas en salle au moment de l’accident conduisirent celle-ci à engager une procédure pénale.

Le Dr X a tenté, tout au long de la procédure, de faire valoir les circonstances particulières dans lesquelles il s’était trouvé et notamment qu’il convenait d’assimiler ici sa situation à celle d’une délégation donnée à un personnel infirmier qualifié, comme pour une surveillance en SSPI qui ne requérait pas forcément la présence d’un IADE.

De même, il était mis en évidence le fait que le personnel paramédical avait pris seul l’initiative d’un changement de position qui a été la cause déterminante de la déconnexion de la sonde d’intubation et qu’il y avait eu un retard inexplicable à l’alerte du médecin anesthésiste réanimateur dans une petite salle d’opération avec un appareil performant muni d’alarmes, qui ne pouvaient pas ne pas être entendues…

Un Expert, ancien président de la SFAR, avait validé cette délégation dans ces circonstances.

Un autre Expert avait, pour sa part, considéré qu’il fallait faire application stricte des recommandations de la SFAR s’agissant d’une patiente sous anesthésie générale en cours, même s’il n’y avait pas d’acte chirurgical invasif à ce moment-là.

Plusieurs personnalités éminentes de la spécialité ont souligné le fait que la cause déterminante de la déconnexion de la sonde d’intubation était en l’espèce le changement de position, opéré contre toutes les règles en l’absence de tout médecin, y compris le médecin anesthésiste réanimateur.

Par jugement en date du 13 juin 2016, le Tribunal correctionnel a relaxé le Dr X, estimant que dans les circonstances de l’espèce, il pouvait déléguer la surveillance au personnel qualifié présent, qu’il ne pouvait anticiper le risque de déconnexion de la sonde à l’occasion d’une mobilisation du patient hors présence de tout médecin, combiné à l’absence d’alerte dans un délai suffisant.

Le Tribunal en déduisait qu’il ne pouvait retenir dans ces circonstances une faute caractérisée avec un risque que le Dr X ne pouvait ignorer.

Par arrêt en date du 25 septembre 2017, la Cour d’appel de Douai en a décidé autrement avec la motivation essentielle suivante :

« En laissant sa patiente, toujours placée sous anesthésie générale, sans surveillance par un personnel habilité au moment critique qu’est par nature le changement d’intervention, avec des mouvements de personnel, un changement de matériel induisant une baisse de vigilance, et une éventuelle mobilisation, le Dr X a commis une faute caractérisée. Cette faute a exposé Mlle D à un risque d’une particulière gravité, inhérent à toute anesthésie générale, que tout médecin anesthésiste réanimateur ne peut ignorer de par sa formation ».

Le Dr X a été condamné à 6 mois d’emprisonnement assorti du sursis et il y a eu également condamnations civiles pour des préjudices extrêmement importants compte tenu de l’état neuro-végétatif de la patiente.

Le Dr X a évidemment formé un pourvoi en cassation.

Par arrêt en date du 15 janvier 2019, la Cour de cassation, qui ne peut revenir sur les faits tels qu’ils étaient établis par l’arrêt de la Cour d’appel, a rejeté le pourvoi du Dr X, en laissant d’ailleurs le soin à ce dernier de rechercher un partage de responsabilité au plan civil avec le chirurgien gynécologique et la Clinique, puisqu’un rapport d’expertise dans le cadre d’une procédure CCI avait conclu à un tel partage (défaut d’indication, défaut d’organisation, faute du personnel salarié).

III. CE QU’IL FAUT RETENIR DE CETTE AFFAIRE

Un patient sous anesthésie, qu’elle soit générale ou loco-régionale, doit bénéficier d’une surveillance continue en salle d’opération par un professionnel de l’anesthésie qui ne peut être qu’un médecin anesthésiste réanimateur ou un IADE, et ce, jusqu’à son transfert en SSPI.

Le fait que l’on soit entre deux interventions, à partir du moment où le protocole anesthésique est en cours, ne peut être une circonstance dérogatoire.

Un changement de position opératoire ne peut avoir lieu qu’en présence d’au moins un médecin et les protocoles doivent être extrêmement clairs dans l’établissement à ce propos.

En dehors donc des circonstances particulières de cette affaire, il n’y a rien de nouveau sous le soleil anesthésique.

Ce que ne dit certainement pas l’arrêt de la Cour de cassation, c’est qu’il faudrait nécessairement un IADE dans chaque salle d’opération lorsque le médecin anesthésiste réanimateur a la responsabilité d’au maximum de deux salles d’opération.

Si la présence d’un IADE dans chaque salle constitue à l’évidence un confort et une sécurité pour le médecin anesthésiste réanimateur, il reste toujours admis aujourd’hui qu’il peut y avoir un médecin anesthésiste réanimateur dans une salle, un IADE dans une autre salle sous la responsabilité du même médecin anesthésiste réanimateur et qu’en cas d’incident dans l’une des salles, l’IADE appelle immédiatement le médecin anesthésiste réanimateur et prend la place de ce dernier dans la salle dont il s’occupait.

Si les recommandations de la SFAR prévoient dans certains cas particuliers, en fonction des risques prévisibles, que le médecin anesthésiste réanimateur doit être assisté d’un IADE, notamment au moment de l’induction anesthésique et de l’intubation, cela ne veut évidemment pas dire que la présence d’un IADE aux côtés du médecin anesthésiste réanimateur est requise de manière générale.

Il en est de même pour la possibilité de faire appel à un renfort anesthésique en cas d’incident grave.

Tout cela reste dans le quotidien des anesthésistes réanimateurs.

Un médecin anesthésiste réanimateur dans une salle, un IADE dans l’autre sous sa responsabilité, restent toujours la norme lors des visites de certifications des établissements, l’HAS ayant d’ailleurs repris comme référence l’article des avocats du SNARF intitulé « un médecin anesthésiste réanimateur, deux salles : vous avez dit pas de textes ? »

Il sera rappelé que l’impossibilité pour un médecin anesthésiste réanimateur de prendre plus de deux salles repose sur le fait qu’au-delà, il se met dans une situation à risque car il doit être toujours en mesure d’intervenir immédiatement à l’appel de l’IADE, s’il y en a un, cela peut se concevoir, s’il y en a plusieurs, cela devient mission impossible…

La vraie protection du médecin anesthésiste réanimateur réside donc plus que jamais dans le respect des règles de sécurité anesthésique, des recommandations de la SFAR qui contribuent à la définition des règles de l’art et dans l’élaboration et la traçabilité des protocoles et des consignes de surveillance, ce qui a une importance également dans les suites pour la surveillance en SSPI à propos de laquelle nous reviendrons dans un prochain article.

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Les défis de l'ambulatoire

Responsabilité Médicale

le 09/03/2018

Si les dispositions du Code de la Santé Publique maintiennent la définition de la chirurgie ambulatoire comme structures de soins alternatives à l’hospitalisation, le recours à l’ambulatoire est de plus en plus encouragé par les pouvoirs publics pour des raisons médicales et économiques.

En 2010, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) indiquait que la chirurgie ambulatoire devait être approchée comme une chirurgie de première intention, la chirurgie classique ne s’imposant en second recours que dans les situations qui l’exigent. Le taux global national de la chirurgie ambulatoire est passé selon l’Association française de chirurgie de 36,2 % en 2009 à 54 % en 2016. Alors que le projet de budget de la sécurité sociale (PLFSS) est actuellement en cours d’examen à l’Assemblée nationale, le ministre de la Santé a réitéré son souhait de favoriser l’ambulatoire, l’objectif poursuivi étant désormais d’atteindre un taux de 70% pour 2022.

En chirurgie ambulatoire, la qualité est un enjeu à la fois pour le patient, pour les acteurs de santé, pour les établissements et pour la société. La chirurgie ambulatoire est, faut-il le rappeler, un concept organisationnel qui résulte du contrat entre une structure qui assure la gestion des flux et la maîtrise des « process » permettant la mise sous contrôle des facteurs de risque post-opératoire d’une part, et un patient qui est reconnu capable d’accepter d’assumer sa prise en charge à domicile d’autre part.

La démarche fondamentale en matière de prise en charge ambulatoire procède donc d’une action pluridisciplinaire dans le cadre d’une organisation centrée sur le patient qui doit être précise et préétablie.

Le chemin des médecins et du patient doit être balisé du début à la fin de la prise charge d’où l’importance des protocoles écrits déterminant le rôle de chacun.

Si l’évaluation de l’éligibilité à l’ambulatoire lors des consultations pré-opératoires est déterminante, la phase post-opératoire ne peut encore moins qu’une hospitalisation classique supporter de zones grises.

Il apparait ainsi essentiel :

- d’établir l’éligibilité du patient à l’ambulatoire, prenant en compte notamment les antécédents médicaux et chirurgicaux, une adaptation de la prise médicamenteuse, une stratégie anesthésique et analgésique ainsi qu’une optimisation de la préparation du patient (sevrage tabac et alcool, jeûne, prémédication..)

- d’appréhender les risques et notamment infectieux et les moyens à mettre en œuvre pour les prévenir (antibioprophylaxie, mise en place de cathéters…)

- de délivrer une information sur la nature et les risques de l’intervention chirurgicale  mais également sur la procédure en ambulatoire.

Le patient étant l’acteur majeur de sa prise en charge ambulatoire, il doit nécessairement avoir bénéficié d’une information claire, précoce et réitérée, à chaque étape de sa prise en charge.

Le patient doit être informé des conditions de sortie, de la nécessité d’être accompagné par un tiers pour le retour au domicile, des consignes liées aux suites éventuelles de la prise en charge, les méthodes d’analgésie post opératoire.

La traçabilité de cette information reste évidemment capitale puisque les professionnels de santé doivent rapporter la preuve de cette information : information orale, fiche de consentement, feuille d’information, numéro de téléphone, médecin traitant…

Ainsi, le défi de l’ambulatoire réside essentiellement dans l’importance du réseau et la coordination entre professionnels. La notion d’équipe médico-chirurgicale prend en effet ici toute son ampleur et impose la rédaction de protocoles précis déterminants le rôle de chacun, afin d’assurer la continuité des soins et une sécurité optimale pour les patients.

À propos du Cabinet
Le Cabinet AUBER a été créé en 2003 à l’initiative de Philip COHEN et Marie-Christine DELUC, avocats qui exerçaient dans des domaines distincts mais complémentaires.
Dans le domaine du droit de la santé, Avocat des principaux syndicats de médecins libéraux, généralistes ou spécialistes (CSMF, SNARF, FNMR, FFMKR…), et avocat référent du Cabinet BRANCHET, le Cabinet AUBER accompagne, conseille et défend les médecins dans tous les domaines concernant leur exercice professionnel.
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