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COVID19 - VOUS AVEZ DIT DROIT DE RETRAIT?

Exercice professionnel des médecins libéraux

le 28/03/2020

S’agissant des médecins libéraux, on ne peut qu’envisager les modalités éventuellement légales d’un droit de refus de soin.

1. Médecin libéral, ai-je un droit de refus de prise en charge ?

Si « (…) Un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles », cela n’est prévu par l’article R.4127-47 du Code de la Santé Publique qu’ «Hors les cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité (…) ».

De même, l’article R.4127-48 du Code de la Santé Publique rappelle que « le médecin ne peut  abandonner ses malades en cas de danger public, sauf sur ordre formel donné par une autorité qualifiée, conformément à la loi ». 

Si les risques d’atteinte à sa sécurité peuvent en principe permettre au professionnel de refuser un soin ou de s’en désister, ce droit connaît les limites suivantes dans la situation que nous connaissons :

Limite de « l’urgence et des devoirs d’humanité » (article R4127-47 précité) : un patient suspect de COVID 19, et d’autant plus s’il est testé positif, est manifestement en situation nécessitant une prise en charge urgente. 

A défaut d’être en mesure de fournir une alternative au patient (prise en charge par un autre médecin, ou une autre structure hospitalière publique ou privée), le refus de prise en charge ne peut être justifié. 

La limite du « danger public » (Article R.4127-48 précité) : L’épidémie actuelle du COVID 19 constitue évidemment un danger public imposant au médecin libéral de se tenir à son poste.

La limite générale de l’interdiction de discrimination, en raison notamment de l’état de santé du patient.

Cela ne signifie évidemment pas que doivent être ignorés les risques évidents et avérés de contamination personnelle et de mise en danger du médecin libéral.

Les établissements de santé et plus particulièrement les unités de réanimation existantes ou créées doivent naturellement disposer des moyens matériels nécessaires, y compris de protection pour leur fonctionnement.

La protection du personnel médical doit être regardée comme une obligation à la charge des autorités publiques et des établissements de santé, afin  d’éviter la propagation du virus à des personnes en situation de fragilité ou en risques.

2. Et si je ne suis pas formé pour la réanimation ?

Un médecin anesthésiste n’est pas seulement anesthésiste, sa spécialité est « anesthésie réanimation ».

S’il est vrai que dans leur pratique quotidienne régulière, un grand nombre d'anesthésistes ne prend plus en charge les patients ventilés au long cours (transfert systématique en réanimation souvent dans d'autres structures) et donc se sent « incompétent » pour la prise en charge de ces derniers, pour autant ils savent tous intuber, régler des respirateurs et surveiller les patients intubés.

Dans cette période de crise ils sont donc les mieux à même de prendre en charge les patients, même si c'est de façon moins performante que les réanimateurs chevronnés.

De nombreux tutos, conseils et possibilités de poser des questions pratiques sont disponibles. En temps de crise, chacun fait pour le mieux même si tout le monde a conscience qu’il travaille en « mode dégradé ». 

L’urgence vitale commande de faire pour le mieux, avec les moyens du bord, pour limiter au maximum le nombre de morts. Ceux qui font de la médecine de catastrophe ou humanitaire en milieu précaire savent que la question n’est pas de savoir ce qui est idéal, mais ce qui est possible, avec les moyens dont on dispose.

Oui, nous pouvons assimiler la situation actuelle à une situation de médecine de guerre…

Au-delà des questionnements médicaux légaux (oubliant que les obligations déontologiques font partie des dispositions réglementaires), c’est évidemment l’éthique qui prévaut :  préfère-t-on une hypothétique plainte pour une mauvaise prise en charge d’un patient décédé à une plainte pour refus de soin à un patient en urgence vitale ?

Nous ne doutons pas que la réponse s’impose à tous !

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Transsexualisme et prise en charge de l’opération de réassignation sexuelle par les anesthésistes réanimateurs

Responsabilité Médicale

le 10/03/2020

Le transsexualisme, transidentité, troubles de l’identité de genre, connu encore sous le terme de syndrome de Benjamin, tend à être plus souvent dénommé dysphorie de genre.

La reconnaissance du syndrome de dysphorie de genre engendre de nombreuses questions d’ordre juridique. En effet, le droit applicable aux personnes présentant un tel syndrome en France ne repose sur aucune législation.

Les conditions de réalisation de ces interventions ont été fixées par la jurisprudence, le Conseil de l’Ordre des médecins, des spécialistes du Transsexualisme et la Sécurité Sociale.

Récemment, et à la demande de différentes instances (ministère de la santé, associations de transsexuels, assurance maladie), la HAS a publié en 2010 un rapport sur la « situation actuelle et les perspectives d’évolutions de la prise en charge médicale du transsexualisme »

Les chirurgiens et anesthésistes réanimateurs sont ainsi tenus d'observer les recommandations en vigueur et notamment celles établies par le Conseil National de l'Ordre des Médecins (sous l’article 41 du Code de déontologie médicale), selon lesquelles la chirurgie de réassignation ne peut être envisagée qu’après une évaluation clinique pluridisciplinaire et compétente (expertise endocrinologique et psychiatrique notamment pour repérer d'éventuelles contre-indications).Une période probatoire d'au minimum une année est indispensable. La décision de transformation génitale est prise au cours d’une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) à laquelle participent psychiatres, psychologues, endocrinologues et chirurgiens concernés par la personne.

 

La Cour de Cassation, à la suite d’une décision rendue le 25 mars 1992 par la Cour européenne des droits de l’homme a décidé le 11 décembre 1992 en Assemblée plénière que "lorsqu'à la suite d'un traitement médico-chirurgical subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome de transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d'origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l'autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l'apparence".

De la décision de la Cour de Cassation, il ressort que trois conditions cumulatives sont nécessaires à la satisfaction de cette reconnaissance :

  • Le syndrome de dysphorie de genre doit avoir été médicalement constaté.

  • L'intéressé(e) doit avoir subi une opération de réassignation sexuelle

  • L'intéressé(e) doit avoir adopté, outre l'apparence physique du sexe opposé, le comportement social de celui-ci.

Toutefois, dans sa circulaire DACS n° CIV/07/10 du 14 mai 2010 relative aux demandes de changement de sexe à l’état civil, la Chancellerie rappelle que certaines juridictions du fond ont fait droit à des demandes de changement de sexe présentées par des personnes n’ayant pas subi l’opération de réassignation sexuelle mais rapportant la preuve de l’irréversibilité du processus de changement de sexe.

La reconnaissance de la dysphorie et la légitimité de l’indication opératoire

La reconnaissance du syndrome de dysphorie de genre en France a soulevé la question de la licéité de l’opération de réassignation sexuelle au regard du droit. En effet, la reconnaissance juridique du syndrome a été rendue d’autant plus difficile par le fait que l’intervention chirurgicale pratiquée était susceptible de tomber sous la qualification de l’article 222-9 du Code Pénal, c’est-à-dire « violences ayant entrainé une mutilation ou une infirmité permanente »

Depuis 1999, un acte médical portant atteinte à l’intégrité physique d’une personne est considérée comme licite s’il est justifié par une nécessité « médicale ».

Dans la mesure où l’intervention chirurgicale est un des « traitements » reconnu dans la dysphorie de genre, le but thérapeutique poursuivi soustrait le chirurgien à l’incrimination du crime de castration ou d’atteinte volontaire à l’intégrité corporelle.

Cependant, et comme le précise la Haute Autorité de Santé, " le chirurgien qui pratique une opération de réassignation sexuelle doit respecter les conditions de reconnaissance de la dysphorie de genre définies par les autorités en charge du dossier, sous peine de voir sa responsabilité engagée."

Aussi, avant d’accéder à la demande d’un transsexuel, le conseil national de l’ordre des Médecins recommande de prendre les précautions suivantes :

  • Observation clinique prolongée et compétente (expertise endocrinologique et psychiatrique notamment pour repérer d’éventuelles contre-indications)

  • Période probatoire d’au minimum une année et psychothérapie d’essai avec le concours d’un spécialiste expérimenté dans les cas de transsexualisme

     

  • Consultation de plusieurs spécialistes avant de retenir l’indication d’intervenir chirurgicalement

Si l’indication opératoire reste évidemment du ressort du chirurgien, le médecin anesthésiste réanimateur en charge de la consultation pré-anesthésique ne peut se désintéresser de cette question et devra, par le biais par exemple du courrier d’envoi du chirurgien, s’assurer que cette procédure a été respectée et que les informations relatives à cette intervention ont bien été délivrées au patient.

Délai et consentement du patient

Un délai d’un an ou plus est exigé entre la première demande et la prescription des premiers traitements. Ce délai apparait particulièrement important compte tenu des conséquences irréversibles et majeures de cette transformation et du caractère non urgent de l’acte envisagé. 

Par ailleurs, à l’issue de tous les bilans, lorsque le diagnostic est certain, il est impératif de recueillir le consentement éclairé du patient, le sujet mineur étant exclu.

Généralement, c’est au cours du bilan chirurgical, que le praticien délivre une information éclairée au patient, et évalue les motivations de ce dernier.

Il est proposé l’établissement d’un contrat personnel et la remise d’un dossier guide, similaire à celui utilisé en matière d’I.V.G (comprenant des informations sur la réglementation, les démarches à suivre, les délais, les adresses et coordonnées utiles...)

Ces documents doivent en outre préciser les techniques opératoires, les avantages et les inconvénients des séquences thérapeutiques mises en œuvre, les risques de complications immédiates et tardives, les résultats raisonnablement attendus, et les possibilités de répercussion psychologiques et des difficultés psychosociales que peuvent entraîner un changement officiel de sexe.

Demande de prise en charge à la Sécurité sociale

La prise en charge de la chirurgie de réassignation sexuelle est accordée sur la base d’un « protocole » élaboré en 1989 et appliqué par les caisses nationales.

Cette prise en charge est accordée après avis positif du médecin conseil national, après suivi obligatoire du protocole de 1989 reposant sur les points suivant :

  • Nécessité d’un suivi pendant une période minimale de deux ans, par une équipe « hautement qualifiée » comportant un psychiatre, un endocrinologue et un chirurgien plasticien

  • Rédaction par ces trios praticien d’un protocole concluant au caractère indispensable des interventions médicales et chirurgicales envisagées

  • Une lettre ministérielle du 4 juillet 1989 accompagnait ce protocole autorisant la prise en charge de l’intervention si et seulement si elle était effectuée dans un établissement public.

     

Ce dernier critère a cependant été rejeté par la Cour de Cassation en 2004 relevant qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’interdisait la prise en charge d’actes médicaux réalisés dans le cadre d’un exercice libéral.

La Clause de conscience

Le rapport de la HAS évoque par ailleurs l’aspect éthique de cette question et rappelle que « si le code de déontologie médicale affirme que la continuité des soins aux malades doit être assurée quelles que soient les circonstances, le même code dispose qu’un médecin peut, hors cas d’urgence et manquement à ses devoirs d’humanité, refuser ses soins pour des raisons professionnelles et/ou personnelles. La seule obligation du médecin réside alors en la transmission des informations au nouveau médecin désigné par le patient. »

Les conséquences juridiques en cas d’inobservation de ces règles

Les manquements aux règles précitées sont susceptibles d’engager la responsabilité pénale, civile mais aussi disciplinaire des praticiens concernés.

Ainsi, les praticiens doivent rester vigilants lorsqu’ils décident de pratiquer ce type d’intervention car les conséquences peuvent être lourdes de conséquences tant pour le patient que pour le praticien et les équipes concernées.

Tenant compte des propositions de la HAS, l’offre de soins proposée doit tenir compte de l’aspect multidisciplinaire, complexe et extrêmement spécifique de la prise en charge du transsexualisme. 

En conséquence, le traitement chirurgical ne doit intervenir qu’une fois toutes ces précautions prises et ce, afin de permettre une meilleure protection du/des praticien(s). 

Par ailleurs, le médecin reste soumis au respect des obligations habituelles inhérentes à sa spécialité, et peut donc voir sa responsabilité engagée de la même manière et dans les mêmes conditions que pour tout autre opération.

Conclusions concernant l’anesthésiste réanimateur

Il ressort ainsi des observations ci-dessus rappelées que le médecin anesthésiste réanimateur n’intervient que pour la phase finale de l’acte.

S’il ne participe pas personnellement à la phase d’instruction de la demande et à l’indication opératoire, il ne saurait cependant ignorer la procédure antérieure devant impérativement être respectée.

Il est ainsi recommandé que le médecin anesthésiste réanimateur dispose le jour de la consultation pré-anesthésique d’un courrier particulier adressé par le chirurgien rappelant le parcours préalable (date de la 1ere consultation, date de la RCP, accord de la sécurité sociale, consentement chirurgical obtenu) garantissant ainsi le respect de la procédure initiale.

Un item particulier pourrait être rajouté dans la feuille de consultation d’anesthésie mentionnant le respect de la procédure antérieure et la confirmation du consentement éclairé du patient.

La rédaction d’un protocole entre chirurgien et anesthésiste est recommandée, précisant qu’en l’absence d’information relative au respect de la procédure antérieure, la prise en charge anesthésique ne pourrait être assurée.

Le reste de la consultation d’anesthésie, l’information, la réalisation technique du geste et la surveillance post-opératoire doivent être évoquées de la même manière que pour toutes autres interventions chirurgicales.

À propos du Cabinet
Le Cabinet AUBER a été créé en 2003 à l’initiative de Philip COHEN et Marie-Christine DELUC, avocats qui exerçaient dans des domaines distincts mais complémentaires.
Dans le domaine du droit de la santé, Avocat des principaux syndicats de médecins libéraux, généralistes ou spécialistes (CSMF, SNARF, FNMR, FFMKR…), et avocat référent du Cabinet BRANCHET, le Cabinet AUBER accompagne, conseille et défend les médecins dans tous les domaines concernant leur exercice professionnel.
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