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Transsexualisme et prise en charge de l’opération de réassignation sexuelle par les anesthésistes réanimateurs

Responsabilité Médicale

le 10/03/2020

Le transsexualisme, transidentité, troubles de l’identité de genre, connu encore sous le terme de syndrome de Benjamin, tend à être plus souvent dénommé dysphorie de genre.

La reconnaissance du syndrome de dysphorie de genre engendre de nombreuses questions d’ordre juridique. En effet, le droit applicable aux personnes présentant un tel syndrome en France ne repose sur aucune législation.

Les conditions de réalisation de ces interventions ont été fixées par la jurisprudence, le Conseil de l’Ordre des médecins, des spécialistes du Transsexualisme et la Sécurité Sociale.

Récemment, et à la demande de différentes instances (ministère de la santé, associations de transsexuels, assurance maladie), la HAS a publié en 2010 un rapport sur la « situation actuelle et les perspectives d’évolutions de la prise en charge médicale du transsexualisme »

Les chirurgiens et anesthésistes réanimateurs sont ainsi tenus d'observer les recommandations en vigueur et notamment celles établies par le Conseil National de l'Ordre des Médecins (sous l’article 41 du Code de déontologie médicale), selon lesquelles la chirurgie de réassignation ne peut être envisagée qu’après une évaluation clinique pluridisciplinaire et compétente (expertise endocrinologique et psychiatrique notamment pour repérer d'éventuelles contre-indications).Une période probatoire d'au minimum une année est indispensable. La décision de transformation génitale est prise au cours d’une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) à laquelle participent psychiatres, psychologues, endocrinologues et chirurgiens concernés par la personne.

 

La Cour de Cassation, à la suite d’une décision rendue le 25 mars 1992 par la Cour européenne des droits de l’homme a décidé le 11 décembre 1992 en Assemblée plénière que "lorsqu'à la suite d'un traitement médico-chirurgical subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome de transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d'origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l'autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l'apparence".

De la décision de la Cour de Cassation, il ressort que trois conditions cumulatives sont nécessaires à la satisfaction de cette reconnaissance :

  • Le syndrome de dysphorie de genre doit avoir été médicalement constaté.

  • L'intéressé(e) doit avoir subi une opération de réassignation sexuelle

  • L'intéressé(e) doit avoir adopté, outre l'apparence physique du sexe opposé, le comportement social de celui-ci.

Toutefois, dans sa circulaire DACS n° CIV/07/10 du 14 mai 2010 relative aux demandes de changement de sexe à l’état civil, la Chancellerie rappelle que certaines juridictions du fond ont fait droit à des demandes de changement de sexe présentées par des personnes n’ayant pas subi l’opération de réassignation sexuelle mais rapportant la preuve de l’irréversibilité du processus de changement de sexe.

La reconnaissance de la dysphorie et la légitimité de l’indication opératoire

La reconnaissance du syndrome de dysphorie de genre en France a soulevé la question de la licéité de l’opération de réassignation sexuelle au regard du droit. En effet, la reconnaissance juridique du syndrome a été rendue d’autant plus difficile par le fait que l’intervention chirurgicale pratiquée était susceptible de tomber sous la qualification de l’article 222-9 du Code Pénal, c’est-à-dire « violences ayant entrainé une mutilation ou une infirmité permanente »

Depuis 1999, un acte médical portant atteinte à l’intégrité physique d’une personne est considérée comme licite s’il est justifié par une nécessité « médicale ».

Dans la mesure où l’intervention chirurgicale est un des « traitements » reconnu dans la dysphorie de genre, le but thérapeutique poursuivi soustrait le chirurgien à l’incrimination du crime de castration ou d’atteinte volontaire à l’intégrité corporelle.

Cependant, et comme le précise la Haute Autorité de Santé, " le chirurgien qui pratique une opération de réassignation sexuelle doit respecter les conditions de reconnaissance de la dysphorie de genre définies par les autorités en charge du dossier, sous peine de voir sa responsabilité engagée."

Aussi, avant d’accéder à la demande d’un transsexuel, le conseil national de l’ordre des Médecins recommande de prendre les précautions suivantes :

  • Observation clinique prolongée et compétente (expertise endocrinologique et psychiatrique notamment pour repérer d’éventuelles contre-indications)

  • Période probatoire d’au minimum une année et psychothérapie d’essai avec le concours d’un spécialiste expérimenté dans les cas de transsexualisme

     

  • Consultation de plusieurs spécialistes avant de retenir l’indication d’intervenir chirurgicalement

Si l’indication opératoire reste évidemment du ressort du chirurgien, le médecin anesthésiste réanimateur en charge de la consultation pré-anesthésique ne peut se désintéresser de cette question et devra, par le biais par exemple du courrier d’envoi du chirurgien, s’assurer que cette procédure a été respectée et que les informations relatives à cette intervention ont bien été délivrées au patient.

Délai et consentement du patient

Un délai d’un an ou plus est exigé entre la première demande et la prescription des premiers traitements. Ce délai apparait particulièrement important compte tenu des conséquences irréversibles et majeures de cette transformation et du caractère non urgent de l’acte envisagé. 

Par ailleurs, à l’issue de tous les bilans, lorsque le diagnostic est certain, il est impératif de recueillir le consentement éclairé du patient, le sujet mineur étant exclu.

Généralement, c’est au cours du bilan chirurgical, que le praticien délivre une information éclairée au patient, et évalue les motivations de ce dernier.

Il est proposé l’établissement d’un contrat personnel et la remise d’un dossier guide, similaire à celui utilisé en matière d’I.V.G (comprenant des informations sur la réglementation, les démarches à suivre, les délais, les adresses et coordonnées utiles...)

Ces documents doivent en outre préciser les techniques opératoires, les avantages et les inconvénients des séquences thérapeutiques mises en œuvre, les risques de complications immédiates et tardives, les résultats raisonnablement attendus, et les possibilités de répercussion psychologiques et des difficultés psychosociales que peuvent entraîner un changement officiel de sexe.

Demande de prise en charge à la Sécurité sociale

La prise en charge de la chirurgie de réassignation sexuelle est accordée sur la base d’un « protocole » élaboré en 1989 et appliqué par les caisses nationales.

Cette prise en charge est accordée après avis positif du médecin conseil national, après suivi obligatoire du protocole de 1989 reposant sur les points suivant :

  • Nécessité d’un suivi pendant une période minimale de deux ans, par une équipe « hautement qualifiée » comportant un psychiatre, un endocrinologue et un chirurgien plasticien

  • Rédaction par ces trios praticien d’un protocole concluant au caractère indispensable des interventions médicales et chirurgicales envisagées

  • Une lettre ministérielle du 4 juillet 1989 accompagnait ce protocole autorisant la prise en charge de l’intervention si et seulement si elle était effectuée dans un établissement public.

     

Ce dernier critère a cependant été rejeté par la Cour de Cassation en 2004 relevant qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’interdisait la prise en charge d’actes médicaux réalisés dans le cadre d’un exercice libéral.

La Clause de conscience

Le rapport de la HAS évoque par ailleurs l’aspect éthique de cette question et rappelle que « si le code de déontologie médicale affirme que la continuité des soins aux malades doit être assurée quelles que soient les circonstances, le même code dispose qu’un médecin peut, hors cas d’urgence et manquement à ses devoirs d’humanité, refuser ses soins pour des raisons professionnelles et/ou personnelles. La seule obligation du médecin réside alors en la transmission des informations au nouveau médecin désigné par le patient. »

Les conséquences juridiques en cas d’inobservation de ces règles

Les manquements aux règles précitées sont susceptibles d’engager la responsabilité pénale, civile mais aussi disciplinaire des praticiens concernés.

Ainsi, les praticiens doivent rester vigilants lorsqu’ils décident de pratiquer ce type d’intervention car les conséquences peuvent être lourdes de conséquences tant pour le patient que pour le praticien et les équipes concernées.

Tenant compte des propositions de la HAS, l’offre de soins proposée doit tenir compte de l’aspect multidisciplinaire, complexe et extrêmement spécifique de la prise en charge du transsexualisme. 

En conséquence, le traitement chirurgical ne doit intervenir qu’une fois toutes ces précautions prises et ce, afin de permettre une meilleure protection du/des praticien(s). 

Par ailleurs, le médecin reste soumis au respect des obligations habituelles inhérentes à sa spécialité, et peut donc voir sa responsabilité engagée de la même manière et dans les mêmes conditions que pour tout autre opération.

Conclusions concernant l’anesthésiste réanimateur

Il ressort ainsi des observations ci-dessus rappelées que le médecin anesthésiste réanimateur n’intervient que pour la phase finale de l’acte.

S’il ne participe pas personnellement à la phase d’instruction de la demande et à l’indication opératoire, il ne saurait cependant ignorer la procédure antérieure devant impérativement être respectée.

Il est ainsi recommandé que le médecin anesthésiste réanimateur dispose le jour de la consultation pré-anesthésique d’un courrier particulier adressé par le chirurgien rappelant le parcours préalable (date de la 1ere consultation, date de la RCP, accord de la sécurité sociale, consentement chirurgical obtenu) garantissant ainsi le respect de la procédure initiale.

Un item particulier pourrait être rajouté dans la feuille de consultation d’anesthésie mentionnant le respect de la procédure antérieure et la confirmation du consentement éclairé du patient.

La rédaction d’un protocole entre chirurgien et anesthésiste est recommandée, précisant qu’en l’absence d’information relative au respect de la procédure antérieure, la prise en charge anesthésique ne pourrait être assurée.

Le reste de la consultation d’anesthésie, l’information, la réalisation technique du geste et la surveillance post-opératoire doivent être évoquées de la même manière que pour toutes autres interventions chirurgicales.

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Quoi de neuf en contentieux de la sécurité sociale ?

Contentieux sécurité sociale

le 09/03/2020

  1. Le TASS est mort, vive le Pôle social !

Le contentieux de la sécurité sociale connaissait deux types de litiges, le contentieux technique (invalidité, incapacité, etc) et le contentieux général.

Cette distinction s’appliquait dès la phase pré contentieuse (avant la saisine du Tribunal) et se retrouvait dans la procédure judiciaire devant deux juridictions spécialisées : les Tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) et les Tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI). 

Le 1er janvier 2019, les TASS et TCI ont disparu et l’ensemble du contentieux de la sécurité sociale a été transféré aux Pôles sociaux des TGI. 

La distinction entre le contentieux technique et le contentieux général avait donc déjà complétement disparu dans le cadre de la procédure contentieuse devant le juge judiciaire. 

La loi du 23 mars 2019 a supprimé, le Tribunal d'instance en tant que juridiction autonome aux côtés du Tribunal de grande instance (TGI). 

A compter du 1er janvier 2020, il n’existe donc plus qu’un seul tribunal : le Tribunal judiciaire.

Désormais, le Pôle social du Tribunal judiciaire territorialement compétent connait donc de l’ensemble du contentieux de la sécurité sociale.

En pratique, il n’y a pas de grand changement pour le professionnel de santé faisant l’objet par exemple d’une demande en remboursement d’indu : au lieu de contester la décision de la Commission de recours amiable de la CPAM concernée devant le TASS, il doit désormais saisir le Pôle social du Tribunal judiciaire compétent territorialement.

La notification de cette décision doit normalement préciser les délais et modalités de voies de recours, comprenant la juridiction compétente et l’adresse à laquelle envoyer la contestation.

  1. Commissions de recours amiable : quelle utilité ?

Les réclamations contre certaines décisions d'organismes de sécurité sociale doivent faire l’objet, préalablement à un contentieux, d’une contestation devant une Commission de recours amiable (CRA) de l'organisme concerné.

S’agissant des notifications d’indu intervenant ou non à l’issue d’un contrôle d’activité médicale d’un professionnel de santé, ce recours est un préalable obligatoire avant de pouvoir saisir le Pôle social du Tribunal judiciaire territorialement compétent. 

Ainsi, cette phase « pré contentieuse » a normalement pour but de privilégier une résolution amiable du litige et un désengorgement des Tribunaux.  

Pourtant, la Chambre sociale de la Cour d’appel de MONTPELLIER a confirmé le doute déjà existant sur l’utilité de ces Commissions (15 mai 2019, RG n°15/01463) en limitant la motivation nécessaire des décisions des Commissions au strict minimum. 

En effet, la décision de la CRA, on ne peut plus succincte, exposait : « Considérant l'ensemble du dossier, considérant l'avis du Service Médical, considérant l'ensemble des anomalies retenus, considérant que la Caisse a fait une juste application de la réglementation, la Commission décide de maintenir la décision et de poursuivre le recouvrement de ta totalité de l'indu. »

Elle ne reprenait donc aucun élément de l’espèce, ce considérant pouvant finalement s’intégrer dans n’importe quel dossier…

Pourtant, la Cour a confirmé la position du Tribunal, lequel avait considéré que dans la décision de la Commission de recours amiable, même rédigée de cette manière, une motivation existait et permettait à la juridiction de statuer au fond sans que puisse être encourue la nullité voire l'irrégularité de la procédure de contrôle d'activité et de la décision de répétition d'indu.

Conclusion : 

Une fois que le professionnel de santé a saisi la Commission de recours amiable, il a deux possibilités : soit saisir le Pôle social du Tribunal judiciaire territorialement compétent d’une décision implicite de rejet après expiration du délai de 2 mois pour la rendre, soit attendre la décision explicite de la CRA.  

Cette jurisprudence confirme l’intérêt à attendre la notification de la décision de rejet explicite de la CRA pour saisir le pôle social du Tribunal judiciaire territorialement compétent, qui reste malheureusement la norme dominante, de façon à pouvoir discuter la motivation de celle-ci ou mettre en exergue l’absence de réelle motivation même si cela ne peut constituer forcément en soi  un motif d’annulation… 

  1. Contrôle d’activité médicale CPAM : De l’importance des droits du praticien

     

A l’issue d’un contrôle d’activité médicale par le service médical d’une Caisse d’assurance maladie, si des anomalies sont constatées par le service médical la Caisse notifie au professionnel les griefs retenus à son encontre. 

Ce dernier peut alors demander l’organisation d’un entretien, conformément à l’article R.315-1-2 du Code de la sécurité sociale.

La Cour d’appel d’ORLEANS a eu l’occasion de rappeler, dans un arrêt en date du 28 mai 2019 (RG n°18/00131), l’importance des informations délivrées au praticien contrôlé avant l’organisation de cet entretien. 

En effet, l'article D.315-2 du même code dispose que préalablement audit entretien, le service du contrôle médical communique au professionnel de santé contrôlé l'ensemble des éléments nécessaires à la préparation de l'entretien et notamment la liste des faits reprochés au praticien et l'identité des patients concernés.

En l’espèce, il ne résultait pas du compte rendu d’entretien que les professionnels concernés par ce contrôle avaient été destinataires des informations visées à l’article précité préalablement à l’entretien et en particulier d’une « liste claire et compréhensible des griefs et de leurs motifs précis », le compte rendu se bornant à indiquer que les indus portaient sur « les dossiers en infraction à la réglementation non forclos ».

Par jugement en date du 28 novembre 2017, le tribunal avait déclaré nulle toute la procédure applicable aux opérations de contrôle de la caisse, infirmé la décision de la commission de recours amiable, annulé la décision de notification d'indu en date du 17 septembre 2015 et rejeté tous autres chefs de demande.

La Cour d’appel d’ORLEANS a confirmé ce jugement en précisant que le fait que les professionnels contrôlés avaient été personnellement destinataires des dossiers individuels des patients avec tous les éléments permettant d'identifier les actes et dispositions réglementaires non respectées, ne dispensait pas le service du contrôle médical préalablement à l'entretien de fournir « une information plus précise sur les griefs reprochés ».

Conclusion 

La procédure de contrôle d’activité médicale, dont fait partie l’entretien avec le service médical de la CPAM, répond aux principes du respect du contradictoire et des droits de la défense. Il convient donc toujours de les faire respecter.

En ce qui concerne l’entretien, un projet de compte-rendu est établi par les médecins-conseils du service médical de la CPAM qui peut être amendé ou modifié par le praticien. 

Ce dernier doit d’ailleurs avoir en préoccupation le contenu de ses observations répondant à chaque grief formulé par la CPAM, puisqu’elles feront ensuite partie du contentieux qui suivra. 

Ainsi, il convient de veiller à se faire assister par un Conseil avisé dès cette phase de la procédure, sans attendre le contentieux devant le Tribunal judiciaire. 

À propos du Cabinet
Le Cabinet AUBER a été créé en 2003 à l’initiative de Philip COHEN et Marie-Christine DELUC, avocats qui exerçaient dans des domaines distincts mais complémentaires.
Dans le domaine du droit de la santé, Avocat des principaux syndicats de médecins libéraux, généralistes ou spécialistes (CSMF, SNARF, FNMR, FFMKR…), et avocat référent du Cabinet BRANCHET, le Cabinet AUBER accompagne, conseille et défend les médecins dans tous les domaines concernant leur exercice professionnel.
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