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SSPI : Pas de fatalité à une responsabilité partagée !

Responsabilité Médicale

le 20/04/2020

Il est acquis qu’une fois transféré en SSPI, le patient est sous la surveillance immédiate de l’IADE ou de l’infirmière spécialement formée à cette surveillance, sous la responsabilité médicale d’un médecin anesthésiste réanimateur à proximité et pouvant intervenir dans les plus brefs délais.

Qui est responsable en cas de défaut de surveillance en SSPI : l’infirmier de SSPI, le médecin anesthésiste, les deux ?

Deux cas exposés ci-après, riches d’enseignements, ont donné lieu à des arrêts de Cours d’Appel confirmés par la Cour de Cassation (Cour d’Appel de DOUAI, 23 mai 2013 11/05434 ; Cour d’Appel de DOUAI, 4 avril 2019 19/199).

1.    Deux cas exposés

1er cas :

Dans les suites d’une adenoïdectomie conduite sous anesthésie générale par SEVORANE, une enfant de trois ans était transférée en SSPI.

A son arrivée et bien qu’il soit noté dans le compte-rendu opératoire que le réveil de l’enfant avait été constaté sur table, l’infirmière de SSPI notait que l’enfant n’était pas conscient et ne répondait pas à la stimulation.

Aucun monitoring ou surveillance particulière n’était mis en place, à l’exception d’un saturomètre.

Dix minutes plus tard, vraisemblablement, l’enfant présentait un laryngospasme aigüe entrainant rapidement un arrêt cardiaque.

L’infirmière de SSPI prévenait l’anesthésiste qui venait immédiatement et retrouvait l’enfant cyanosé en arrêt cardio-respiratoire.

Il mettait en œuvre les mesures de réanimation et l’enfant état transférée dans un service de neurologie pédiatrique en état de coma végétatif.

La Cour d’Appel a retenu une perte de chance totale de 99% répartie à parts égales entre le médecin anesthésiste réanimateur et l’infirmière.

Elle considéra :

-       D’une part, que le médecin anesthésiste-réanimateur avait été imprudent en transférant l’enfant trop précocement en SSPI « au lieu de la garder encore quelques minutes pour s’assurer que, lors de l’arrêt de l’administration du mélange du Sévorane avec le protoxyde d’azote, l’hypoxie ne se prolongeait pas et continuer la ventilation en oxygène ».

-       D’autre part, que l’établissement de santé engageait sa propre responsabilité du fait de la négligence de son infirmière salariée de SSPI, laquelle n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires afin d’assurer une surveillance efficace, et donc conduit au retard de diagnostic et de prise en charge :

« Attendu que pour autant la Clinique Z ne saurait denier toute responsabilité de l’infirmière présente en salle de réveil alors qu’il ressort des éléments sus rappelé que l’enfant n’était pas pleinement réveillé lors de son arrivée dans cette salle, l’infirmière aurait dû prendre toutes les précautions nécessaires pour assurer une surveillance maximale et ne pas se contenter d’un saturomètre ; que peu importe que les instructions sur la feuille que X lui avait été transmises aient été ou non pré-imprimées et n’aient pas visé le cas spécifique de Y, car en tant que professionnelle (elle a elle-même indiqué qu’elle travaillait depuis 12 ans en salle de réveil) elle devait connaître les précautions élémentaires à prendre et brancher l’ensemble du monitorage »

Il convient de préciser qu’il avait été relevé en l’espèce que le médecin anesthésiste réanimateur était, au moment des faits, du fait de la défection imprévue d’un de ses collègues, en charge de 3 salles d’opérations.

2ème cas :

Une patiente ayant bénéficié de la pose d’une prothèse de hanche sous anesthésie générale était admise en SSPI intubée et ventilée, sans monitorage de décurarisation préalable en salle d’opération.

L’infirmière en charge de la SSPI décidait, sans juger nécessaire de faire appel à l’anesthésiste réanimateur, d’extuber la patiente, sans préalablement s’assurer de la décurarisation.

Vingt minutes plus tard, l’IADE du MAR, en arrivant dans la SSPI pour y conduire un patient suivant, constatait immédiatement un arrêt cardiaque de la patiente et appelait le médecin anesthésiste réanimateur, lequel intervenait immédiatement.

La patiente était ensuite transférée dans un autre établissement où il était constaté un coma anoxique aréactif.

Pour retenir la responsabilité du médecin anesthésiste réanimateur, la Cour d’appel a considéré que l’absence de monitorage des effets résiduels du curare par l’anesthésiste avait favorisé les circonstances de survenue de la complication :

« Attendu, sur l’analyse du comportement du praticien anesthésiste, que l’expert judiciaire retient à l’encontre du Docteur X l’absence de mise en œuvre des bonnes pratiques recommandées par la SFAR, plus précisément l’absence de monitorage de la curarisation et partant l’absence d’administration d’un produit antagoniste en cas de curarisation résiduelle ;

(…)

Qu’il est encore acquis que l’anesthésiste, dont les obligations professionnelles demeurent envers le patient à son admission en salle de réveil, se devait d’informer le personnel infirmier spécialisé non seulement de l’utilisation au cours de l’intervention d’un produit dérivé du curare, ce qui normalement doit apparaître sur le document qui suit le patient du bloc opératoire à la salle de réveil, mais bien davantage aviser ce personnel de l’absence de recherche d’une éventuelle curarisation résiduelle comme l’absence d’administration d’un produit antidote, soit autant de précautions utiles pour le personnel auquel l’extubation été déléguée, cette manœuvre ne suscitant de la part du Docteur X ni même de l’établissement de santé la moindre discussion ; 

Qu’il s’ensuit que par sa propre carence et la méconnaissance des Recommandations de bonnes pratiques cliniques publiées dès 2002 par la SFAR, le Docteur X a créé les conditions de survenance de l’accident anesthésique dont a souffert Mme Y en salle de réveil ».

Pour retenir également la responsabilité de l’établissement de santé du fait du comportement de son infirmière salariée en SSPI, la Cour a constaté qu’une surveillance efficiente dans les minutes suivant l’extubation aurait pu permettre d’éviter le dommage :

« Que [l’expert judiciaire] décrit du reste, indépendamment des fautes mises en exergue contre le praticien anesthésique, un indéniable défaut de surveillance de la part du personnel infirmier de la salle de réveil que les données de la séquence de monitorage enregistrée mettent en évidence de manière édifiante, ce qui suggère un comportement fautif particulièrement lourd de ce personnel, un suivi constant des données du moniteur cardiovasculaire permettant de repérer immédiatement une éventuelle complication.

Qu’il n’est à ce sujet pas discutable que les manquements du personnel de la salle de réveil à ses obligations de surveillance et de vigilance, indépendamment des reproches nourris contre le praticien anesthésiste, sont patents et que leurs conséquences pour Mme Y se sont révélées dramatiques et irréversibles, l’expert judiciaire rappelant en son rapport que des gestes simples et adaptés de la part d’un personnel vigilant permettaient de parer toute complication sans même devoir envisager une nouvelle intubation ; »

Il convient ici de préciser que, dans cette affaire, l’anesthésiste réanimateur avait eu l’heureuse initiative de procéder immédiatement à des captures d’écran de monitorage (il n’y avait pas d’impression papier sur ledit matériel), qui ont permis de rétablir la chronologie exacte des constantes, révélant un arrêt cardio respiratoire quasi immédiat après extubation, en contradiction totale avec les constantes tracées par l’infirmière de SSPI…

2.    Une même solution : une responsabilité partagée 50/50 entre l’anesthésiste et la Clinique, en retenant des fautes pour chacun

Dans chacune de ces deux affaires, les défaillances du personnel infirmier font suite à des défaillances propres au médecin anesthésiste réanimateur.

3.    Quels enseignements à tirer ?

La responsabilité médicale est une responsabilité personnelle et individuelle, chacun répond des conséquences de sa propre prise en charge, mais les défaillances de l’un peuvent contribuer aux défaillances de l’autre.

Les Tribunaux ont toujours une extrême difficulté à ne retenir que la responsabilité du personnel infirmier, bien qu’il ait ses compétences et responsabilités propres, et cherchent toujours à savoir s’il n’y a pas lieu de retenir également la responsabilité du médecin dont le personnel infirmier dépend.

Si dans les deux cas exposés, on voit bien que la carence de surveillance du personnel infirmier a été la cause essentielle et principale du dommage, les juges ont retenu néanmoins la responsabilité pour moitié de l’anesthésiste réanimateur dont la prise en charge n’était pas indemne de tout reproche.

Ce partage de responsabilité n’est pas inévitable, d’autant que nous savons bien le rôle principal et déterminant de la surveillance par le personnel infirmier en SSPI.

Pour que celle-ci soit le centre de l’attention des experts puis des juges, cela suppose une prise en charge de l’anesthésiste réanimateur exempte de tout reproche.

Cela suppose donc :

-      Une traçabilité précise et complète de la prise en charge du MAR sur la feuille d’anesthésie

-       Une traçabilité des consignes de surveillance en SSPI, qui peut être faite en référence à des protocoles de surveillance selon les types d’anesthésie et/ou de chirurgie réalisées (avec ou sans curare, monitorage de décurarisation avant extubation par l’infirmière en SSPI, constantes de référence impliquant appel systématique et immédiat au MAR etc…)

-      Une traçabilité de la surveillance infirmière en SSPI et la conservation des constantes monitorées

-       Enfin et bien évidemment, nous rajouterons la disponibilité immédiate de l’anesthésiste réanimateur pour répondre à un appel d’un infirmier SSPI, disponibilité qui sera toujours mise en cause explicitement ou implicitement s’il est établi qu’il était en charge de plus de deux programmes opératoires sans renfort anesthésique qualifié.

Telles sont les conditions qui permettront, en cas de défaillances du personnel infirmer en SSPI, de ne retenir que la seule et entière responsabilité de la Clinique.

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Exercice professionnel des médecins libéraux

le 28/03/2020

S’agissant des médecins libéraux, on ne peut qu’envisager les modalités éventuellement légales d’un droit de refus de soin.

1. Médecin libéral, ai-je un droit de refus de prise en charge ?

Si « (…) Un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles », cela n’est prévu par l’article R.4127-47 du Code de la Santé Publique qu’ «Hors les cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité (…) ».

De même, l’article R.4127-48 du Code de la Santé Publique rappelle que « le médecin ne peut  abandonner ses malades en cas de danger public, sauf sur ordre formel donné par une autorité qualifiée, conformément à la loi ». 

Si les risques d’atteinte à sa sécurité peuvent en principe permettre au professionnel de refuser un soin ou de s’en désister, ce droit connaît les limites suivantes dans la situation que nous connaissons :

Limite de « l’urgence et des devoirs d’humanité » (article R4127-47 précité) : un patient suspect de COVID 19, et d’autant plus s’il est testé positif, est manifestement en situation nécessitant une prise en charge urgente. 

A défaut d’être en mesure de fournir une alternative au patient (prise en charge par un autre médecin, ou une autre structure hospitalière publique ou privée), le refus de prise en charge ne peut être justifié. 

La limite du « danger public » (Article R.4127-48 précité) : L’épidémie actuelle du COVID 19 constitue évidemment un danger public imposant au médecin libéral de se tenir à son poste.

La limite générale de l’interdiction de discrimination, en raison notamment de l’état de santé du patient.

Cela ne signifie évidemment pas que doivent être ignorés les risques évidents et avérés de contamination personnelle et de mise en danger du médecin libéral.

Les établissements de santé et plus particulièrement les unités de réanimation existantes ou créées doivent naturellement disposer des moyens matériels nécessaires, y compris de protection pour leur fonctionnement.

La protection du personnel médical doit être regardée comme une obligation à la charge des autorités publiques et des établissements de santé, afin  d’éviter la propagation du virus à des personnes en situation de fragilité ou en risques.

2. Et si je ne suis pas formé pour la réanimation ?

Un médecin anesthésiste n’est pas seulement anesthésiste, sa spécialité est « anesthésie réanimation ».

S’il est vrai que dans leur pratique quotidienne régulière, un grand nombre d'anesthésistes ne prend plus en charge les patients ventilés au long cours (transfert systématique en réanimation souvent dans d'autres structures) et donc se sent « incompétent » pour la prise en charge de ces derniers, pour autant ils savent tous intuber, régler des respirateurs et surveiller les patients intubés.

Dans cette période de crise ils sont donc les mieux à même de prendre en charge les patients, même si c'est de façon moins performante que les réanimateurs chevronnés.

De nombreux tutos, conseils et possibilités de poser des questions pratiques sont disponibles. En temps de crise, chacun fait pour le mieux même si tout le monde a conscience qu’il travaille en « mode dégradé ». 

L’urgence vitale commande de faire pour le mieux, avec les moyens du bord, pour limiter au maximum le nombre de morts. Ceux qui font de la médecine de catastrophe ou humanitaire en milieu précaire savent que la question n’est pas de savoir ce qui est idéal, mais ce qui est possible, avec les moyens dont on dispose.

Oui, nous pouvons assimiler la situation actuelle à une situation de médecine de guerre…

Au-delà des questionnements médicaux légaux (oubliant que les obligations déontologiques font partie des dispositions réglementaires), c’est évidemment l’éthique qui prévaut :  préfère-t-on une hypothétique plainte pour une mauvaise prise en charge d’un patient décédé à une plainte pour refus de soin à un patient en urgence vitale ?

Nous ne doutons pas que la réponse s’impose à tous !

À propos du Cabinet
Le Cabinet AUBER a été créé en 2003 à l’initiative de Philip COHEN et Marie-Christine DELUC, avocats qui exerçaient dans des domaines distincts mais complémentaires.
Dans le domaine du droit de la santé, Avocat des principaux syndicats de médecins libéraux, généralistes ou spécialistes (CSMF, SNARF, FNMR, FFMKR…), et avocat référent du Cabinet BRANCHET, le Cabinet AUBER accompagne, conseille et défend les médecins dans tous les domaines concernant leur exercice professionnel.
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